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champ artistique
Une réflexion sur les mots dans les arts plastiques.
Œuvres à l'origine de la réflexion :
Robert Smithson, A heap of langage,
Paul Klee, Abstrakte schrifft,
« Il suffit de regarder n'importe quel mot assez longtemps pour le voir s'ouvrir et se transformer en une série de failles, en un terrain de particules dont chacune renferme son propre vide ».
Robert Smithson, cité in : Simon Morley, L'Art les mots, Thames & Hudson, 2003 ; Hazan, 2004, p. 158.
Au regards des œuvres proposées et de la citation de Robert Smithson, deux contradictions émergent et nous invitent à un questionnement sur la notion de plasticité dans les arts plastiques. Tout d'abord, l'étymologie de mot désigne un élément sonore, un grognement même. Le mot est donc un tout phonétique. Si, plus tard, le mot est devenu un ensemble de signes juxtaposés pour créer du sens, on aurait tendance à le lire. Robert Smithson nous propose de le regarder. Il nous convie à une exploration du mot comme élément plastique à part entière, en le vidant de son contenu de signifiant : cela sera notre première étape dans la réflexion. Dans un second temps, nous partirons d'une deuxième contradiction émergeant du titre de l’œuvre de Paul Klee : Abstrakte Schrifft, à savoir écriture abstraite. Cette contradiction entre l'écriture, qui doit correspondre à un lien entre signifiant et signifié et l'abstraction qui s'affranchit de référent sera une question à explorer. Enfin, nous tenterons dans une troisième partie de voir comment les mots prennent corps dans les arts plastiques.
Regarder les mots
La citation de Robert Smithson dans l'ouvrage de Simon Morley est en lien avec l'œuvre A heap of langage . Il nous invite à ne pas lire, mais à regarder. Alors que voit-on ? Sur une trame composée de vingt et une colonnes et cinq grandes lignes, l'orthogonalité se redivise dans chaque cellule. Sur cette trame apparaît un ensemble écrit qui fait image et représente un tas de langage. Cette masse graphique s'organise autour d'un axe central vertical en haut duquel on peut lire le mot language . Ce mot, mis au sommet de cette forme, émerge plus facilement de la masse car il est seul. Pour le reste, on s'approche et l'on peut s'apercevoir que les mots ont un rapport avec le langage, on peut aussi lire le mot esperanto entre autres. Ainsi, si l'artiste nous invite à considérer le mot comme signe plastique, comme ensemble constitué de multiples particules, il ne vide cependant pas les mots de leur contenu signifiant car ils sont comme une tautologie : les mots en tas pour parler du langage. Robert Smithson nous demande d'ajuster notre regard pour le vider, pour oublier la lisibilité qui laissera place à une certaine visibilité. Ici, l'ensemble des mots fait image : on peut alors penser à Apollinaire qui en 1914 écrit un calligramme dont le titre est Il pleut. Les lettres tombent dans la page pour évoquer la tristesse et font l'image de la pluie. Dès lors on saisit la portée de ce que propose Guillaume Apollinaire quand il affirme : « il faut que l'on s'habitue à penser synthético idéographiquement et non plus analytico discursivement ». Ainsi le discours est mis de côté dans un premier temps pour saisir l'ensemble en un coup d’œil.
Le calligramme est donc le chemin le plus court entre la pensée et le texte, il fait image en même temps qu'il peut faire sens.
Les origines de l'écriture
Si l'écriture a une utilité pour se positionner comme signe permettant d'identifier une idée, et donc un référent, comment envisager une écriture abstraite réalisée par Paul Klee sur un petit format puisqu'il est dans la réalité approximativement deux fois plus grand que ce qui nous est donné à voir dans le dossier documentaire. Paul Klee ne veut pas « reproduire le visible, il rend visible ». Dès lors il emprunte les caractéristiques plastiques des lettres pour proposer un langage intérieur, inventé . Restent cependant deux dénominateurs communs : la lettre est composée de ligne et de points. On parle de pleins et de déliés, et l'écriture devient élément graphique à part entière, simple trace du geste de l'artiste sur une surface donnée. Dès lors si l'on considère la proposition de Robert Smithson, on peut librement laisser l’œil « voir s'ouvrir et se transformer en une série de failles, en un terrain de particules... »
Entre le domaine du scriptural et le domaine figural : la LIGNE
Effectivement, la ligne sépare l'espace blanc en deux parties, elle permet d'être en fonction de sa forme et de son agencement élément « squelettique » du constituant de chaque lettre. Mais elle évoque aussi un ensemble de mots qui assemblés constituent une ligne. Dès lors on saisit que la frontière entre le scriptural et le graphique est plus perméable qu'on aurait pu l'imaginer, et à la surface des souvenirs remonte la phrase « point à la ligne »qui scandait nos dictées d'écolier. Dans le même registre on pourrait considérer le point comme élément nodal du langage graphique. Si l'on pousse la comparaison en allant jusqu'au texte, on peut constater que le mot texte vient vient du latin textus qui signifiait tissage. Cette remarque nous permet d'envisager ainsi plastiquement l'écriture : sur une trame, les mots viennent s'inscrire dans A heap of language avec un point de départ qui serait en haut de la pyramide. L'artiste tisse du sens avec les mots en faisant image. Dans l’œuvre de Paul Klee Abstrakte schrifft , l'écriture se fait presque musicale, elle implique une certaine horizontalité dans son déploiement dans l'espace de la feuille et a par cette organisation spatiale à voir avec l'écriture. Cette trame qui tient les mots va se faire structure métallique pour porter les mots qui occupent l'espace du Palais de Tokyo dans Sans titre, 1985, de Richard Baquié et dont les lettres sont découpées dans des plaques d’imprimerie offset.
Mot et espace
Cela nous permet désormais de considérer comment la plasticité se développe dans l'espace et de saisir comment le mot se fait corps. Notons ce jeu de mot avec le corps typographique de la lettre qui en constitue une caractéristique. Dans l’œuvre de Richard Baquié, la formulation fait sens. Il peut évoquer une pensée. Le positionnement dans l'espace permet de faire deux remarques : le poids des mots connoté avec des éléments métalliques qui constituent chaque lettre donne un aspect monumental qui contraste avec le mot rien. D'autre part,la possibilité de lecture derrière le dispositif place le mot comme une sculpture : si on en fait le tour, la lecture perdra son sens significatif, à l'envers les mots ne sont plus que des éléments sculpturaux assemblés dans l'espace. Ces mots peuvent se faire lumineux et mouvants dans l’œuvre de Jenny Holzer en 2003 au palais de Justice de Nantes : ils montent vers le ciel sous forme de signaux lumineux qu'on trouve ans les enseignes et lieux publics. Ils évoquent des textes de lois et soulignent l'architecture du bâtiment en lien avec la symbolique.
Si les deux œuvres évoquées précédemment sont sans titre , il serait intéressant de voir comment d'autres artistes comme Marcel Duchamp et René Magritte ont joué avec les mots pour les titres des œuvres, emmenant le regardeur vers des régions plus verbales. Duchamp dans A bruit secret a laissé volontairement des lettres non visibles sur la surface métallique où il avait porté des inscriptions. Du mot comme son au bruit secret contenu dans la bobine de ficelle de l’œuvre, l'élément sonore tisse la métaphore et nous renvoie à l'origine du mot comme son. De la transmédialité à l'intermédialité, à la multimédialité, Simon Morley nous a proposé une variation sur les mots et le images qui dans Poésure et Peintrie (titre de l’exposition présentée au Centre de la Vieille Charité à Marseille en 1993) , ont su se mêler de façons très diverses, comme dans l'art du XXème siècle. Si les premiers collages cubistes (Braque, Le Quotidien) ont intégré la lettre comme objet plastique, de nombreuses variations se sont ouvertes depuis à travers des installations comme Jeffrey Shaw dans Legible City où la dimension interactive était aussi en jeu .
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