Du geste au retrait : de la matière à l'image de...:
Le procédé comme événement: Dans les œuvres de Bertrand Lavier et de Jacques Villeglé, il est question de la rue et de l'espace urbain comme l'indiquent très clairement leurs titres. Pourtant, les prélèvements sont de nature diverse et implique deux gestes opposés. Bertrand Lavier prélève photographiquement, il capte tandis que Jacques Villeglé arrache, retire une peau du mur, une épaisseur. Si une œuvre crie sa matière, son relief, l'autre la tait et trompe même le regard en mêlant gestualité et impression. Jacques Villeglé fait de son arrachage un acte de création, il ne superpose pas mais retire. A l'inverse, Bertrand Lavier joue sur les contradictions : la matière est faux-semblant. Ce n'est pas une peinture gestuelle, ni l'image d'une peinture mais une image de (vitrine). La matérialité patente de l'affiche fait face à l'immatérialité d'un geste mimé.
Mémoire(s): Dans l'acte de retrait de l'affiche et dans celui de la capture photographique, il est bien question de souvenir lié à un lieu précis : la rue. Le premier se compose sous forme de strates et d'épaisseurs ôtées, le second, par son médium, est un « ça a été ». Traces ou mémoires, ces deux pratiques antagonistes sur le plan matériel se retrouvent sur celui d'une captation et d'une saisie d'un lieu. La déambulation ou la promenade constituent l'acte premier de création. Le regard erre libre et perçoit avec plus d'acuité. La vitrine d'un commerce se transforme ainsi en une peinture abstraite contemporaine digne d'un Ryman, portant un intérêt sur la matérialité du blanc et la place de cette non couleur dans l'histoire de l'art. Certes, il y a la mémoire du lieu, une forme de « Je me souviens » à la Perec mais cette mémoire transpose les deux œuvres dans une filiation historique, une citation. Rue Louis Philippe retrace l'histoire récente de la peinture gestuelle et de la pensée du blanc. Rue de Seine impose un acte qui saisit la réalité (une affiche) et s'en empare. Les décollages ne sont pourtant pas s'en rappeler des drippings anonymes proches de ceux du peintre Mathieu. Par le geste et le lieu, il est doublement question d'appropriation.
De l'évènement au non événement:L'évènement est par définition ce qui fait date et plutôt les grandes dates. Il est dans les annales. Il est historique. A contrario pourtant, l'évènement est aussi ce qui arrive et qui a une quelconque importance pour l'homme. A croire cette dernière définition, l'évènement n'est pas uniquement grandiloquent. Et il devient avec ces deux artistes un petit épisode. Événement esthétique: Dans l'art contemporain, la mythologie et l'histoire chrétienne font place au banal. Le monde réel débarque abruptement dans le monde de l'art. L'objet de consommation devient un matériau. La rue devient un espace artistique. La grande peinture est ainsi remplacée par l'impression ou l'arrachage ; le sujet devient plus personnel. Le choix de ces deux œuvres est délibérément paradoxal et ce pour deux raisons. Ils conduisent l'évènement vers la biographie et le domaine personnel et ce sont bien deux œuvres où le site prime qui amorcent une réflexion sur la date, l'histoire, l'épisode marquant. L'art ne cesse de conter, raconter des histoires mais non plus les grandes Histoires du monde. La petite histoire subjective, personnelle touche à l'individu. L'œuvre devient une chronique quotidienne. Le prélèvement d'affiche fait également entrer dans le musée la politique. Villéglé pense qu'en prenant l'affiche, il prend aussi l'histoire. Son histoire mais également l'histoire d'une société. "J'ai eu beaucoup de discussions avec les militants communistes qui me reprochaient d'arracher leurs affiches : je leur répondais qu'elles iraient dans les musées et qu'ainsi leur histoire serait racontée."