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mis à jour le 18/11/2012
Un outil pédagogique autour de la question de la nuit, à partir de l'analyse de deux oeuvres de la collection du musée des Beaux-Arts de Nantes.
mots clés : chaarp, nuit, symbolisme, rêve
Georges De La Tour
L'apparition de l'ange à St Joseph,
dit aussi Le songe de Saint Joseph,
La peinture se caractérise par sa sobriété et son clair-obscur. Seuls deux personnages, un vieillard et un enfant, se détachent d'un décor quasi-absent : une table, un chandelier sur lequel sont posés des ciseaux à moucher dont l'ombre est dessinée sur la table. L'enfant se tient debout, la main gauche tournée vers le ciel et la seconde tendue vers le vieillard cachant ainsi la flamme de la chandelle. L'homme est endormi, un livre ouvert sur les genoux. Accoudé à la table, il se tient la tête de la main droite. S'agit-il d'une scène religieuse ou profane ? Le titre nous indique que le vieillard serait Joseph.......
Odilon REDON (1840 - 1916)
Le Prisonnier ou Le Captif
Vers 1880
Fusain sur papier
Redon fut un peintre, dessinateur et illustrateur majeur du symbolisme dont les œuvres révèlent un monde étrange et clos.
Le vieillard représenté au fusain évoque très certainement Bresdin, le maître de Redon dont un portrait réalisé au crayon se situe au Louvre.La nature même de l'éclairage du captif est inconnue du spectateur, mais la figure, plongée dans l'obscurité, apparaît avec un front violemment éclairé, des orbites noires et une barbe masquant sa bouche. L'homme semble aveugle et emmuré dans un silence. Les maillons de la chaîne sur son bras accentuent cet emprisonnement nous renvoyant ainsi à une solitude extrême, existentielle.
« Vous agitez dans nos silences le plumage du Rêve et de la Nuit ». (Mallarmé à Redon)
La nuit est « le temps pendant lequel le soleil est sous notre horizon ». Cette disparition nous plonge dans l'obscurité. Mais, s'interroger sur la nuit, sa représentation et sa signification, nous incite à étudier les liens qu'elle tisse avec la lumière. De cette relation naît un compromis : l'ombre. Celle-ci construit les formes et finalement donne à voir. A l'origine des compositions, elle fait également sens. Etienne SOURIAU(1) évoque, à travers la perte de l'ombre, la destruction du héros mais elle peut aussi avoir des évocations heureuses en donnant des satisfactions de rêve. La confrontation des œuvres de Georges De La Tour et d'Odilon Redon interroge la place de cette complice de la nuit et de la lumière. C'est parce que la nuit se définit par rapport à la lumière que l'ombre acquière un statut à part dans les compositions. En quoi la représentation de la nuit permet-elle la construction du regard et de la pensée?
(1) Etienne SOURIAU, Vocabulaire d'esthétique, réf. à L'Étrange histoire de Peter Schlemihl (destruction du héros) et Le lai de l'ombre de Jean Renard (satisfactions de rêve)
Le paradoxe du regard
Que retient l'attention du spectateur dans les œuvres de Georges DE LA TOUR et Odilon REDON ? L'attrait peut paraître double, voire contradictoire. Si le spectateur perçoit la révélation de formes par la lumière, fixées dans l'instant, il admire presque aussitôt la performance technique, la maîtrise d'un médium dont l'aboutissement le plonge dans l'obscurité des scènes représentées. C'est à partir de cette dualité que naît l'émotion. La flamme vacillante de la bougie de l'ange découpe le visage et le dessus de sa main de l'obscurité de l'arrière plan. Sa lumière s'évanouit rapidement en laissant derrière elle une palette de couleur allant du beige au noir marron. L'arête vive dessinant le contour du visage de l'enfant est caractéristique de la technique du clair-obscur. La subtilité des œuvres ne prend pas uniquement racine dans cette opposition franche, mais dans la magie des passages. La lumière et la nuit s'entrelacent. Les zones vivement éclairées attirent immédiatement l'œil du spectateur. Ce phénomène naturel alimente le processus de création des deux artistes. La lumière devient le centre de gravité des œuvres, structurant ainsi l'espace représenté.
« Pourquoi, lui demandai-je un jour, l'avez-vous représenté lisant ?
Parce que Bresdin était le plus grand liseur que j'aie connu.
Un livre ouvert, il ne s'arrêtait qu'à la fin.
L'aurore se lève, la chandelle s'éteint, il lit encore...
Odilon REDON
Le rêve: porteur d'un message
La nuit, sculptée par la lumière, révèle un sentiment étrange, vacillant entre quiétude et inquiétude. La frontière entre les deux états est mince. A quoi cela tient-il ? A la quantité de zone d'ombre sur le tableau ? Le chemin de la lumière dans l'espace représenté accentue la suggestion de certains reliefs au profit d'autres, tus. Dans le tableau de DE LA TOUR, l'éclairage n'est pas réaliste car le vieillard devrait avoir le visage violemment éclairé et déformé par la lumière de la chandelle. Le peintre guide notre regard et construit notre réflexion à travers cette lumière d'essence divine. Quel message porte t-elle ? Le spectateur comprend à travers le sommeil paisible de St. Joseph qu'« il est dans l'acceptation, prêt à être réveillé,« éclairé' ». »1 L'ambiance paisible envahit le spectateur, bercé par la lumière et conforté par le sommeil du vieillard. Le rêve traverse l'image pour nous rejoindre. Est-ce un instant éphémère ou un moment d'éternité ? Georges De La Tour peint le silence.
En revanche, l'image du captif dégage un sentiment d'inquiétude. La nuit semble s'emparer du personnage et le dévorer doucement. Elle incarne le symbole de l'emprisonnement existentiel. Le sujet est grave et le spectateur semble assister à cette condamnation, impuissant. Odilon REDON puise ses thèmes dans les mythes universels, les légendes antiques, les rêves, ils peuvent incarner des valeurs spirituelles et chrétiennes. Par le choix des dimensions de l'oeuvre, l'artiste permet un face à face avec le prisonnier. Le spectateur est invité à méditer sur sa propre condition en allant au-delà des évidences et du visible.
Les thèmes traités et les choix plastiques permettent aux deux artistes d'appeler à la méditation sur l'instant, l'éphémère, la fragilité de la vie, la condition humaine, le temps et la mort. Vanité ?
1- extrait du dossier: « Le XVIIe siècle au musée des Beaux-arts de Nantes »
D'autres fiches CHAARP sur la nuit ou sur d'autres thématiques sont consultables sur le site académique et dans les structures culturelles suivantes : Frac des Pays de La Loire, Musée des Beaux-Arts d'Angers, Musée des Beaux-Arts de Nantes, Musée de l'Abbaye Sainte-Croix des Sables d'Olonne. |
virginie michel, chargée de mission au musée des Beaux-Arts de Nantes
niveau : tous niveaux
type pédagogique :
public visé : enseignant
contexte d'usage : classe, atelier
référence aux programmes :
éducation artistique et action culturelle - Rectorat de l'Académie de Nantes