ANNEXES
Annexe 1 :
Iphigénie sort. Clytemnestre rentre dans la tente.
LE CHŒUR.
Iô ! Iô ! Voyez la conquérante de la cité d'Ilion et des Phrygiens. Elle s'avance, pour offrir sa tête aux: bandelettes et à l'eau vive des lustrations, vers l'autel de la cruelle déesse .Elle va l'arroser des flots de sang jaillis de sa belle gorge sous le couteau . L'eau limpide que versera ton père t'attend avec les ablutions, et l'armée achéenne qui aspire à gagner la cité d'Ilion.
Allons invoquer la fille de Zeus, Artémis, déesse souveraine, pour un destin propice.
O maîtresse, maîtresse, aie pour agréable le sacrifice d'une mortelle, conduis l'armée des Grecs au pays phrygien et au séjour de la perfide Troie.
Accorde aussi aux armes d'Agamemnon qu'il ceigne la Grèce de la plus glorieuse des couronnes et son propre front d'une gloire impérissable.
Entre un Messager. Clytemnestre paraît, sortant de la tente.
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LE MESSAGER. - Fille de Tyndare, Clytemnestre, sors de cette tente pour entendre mes paroles.
CLYTEMNESTRE. - A t'appel de ta voix, me voici, toute tremblante - infortunée - et frappée de terreur. Viendrais-tu m'annoncer quelque malheur nouveau s'ajoutant à mes malheurs présents?
LE MESSAGER. - Mais non: pour ta fille, je veux t'annoncer des prodiges étonnants
CLYTEMNESTRE. - Ne tarde pas, alors: hâte-toi de t'expliquer.
LE MESSAGER. - Eh bien, ma chère maîtresse, tu vas tout savoir exactement. Je prendrai les faits du début, à moins que le trouble de mon esprit n'égare ma langue au cours de mon récit. Or donc, nous sommes arrivés au bosquet de la fille de Zeus, Artémis, et à ses prés fleuris, où devait se rassembler l'armée achéenne. Nous conduisions ton enfant. Aussitôt les Argiens s'y pressent en foule. Quand le roi Agamemnon aperçut sa fille qui, marchant au supplice, pénétrait dans le bois, il poussa un gémissement. Détournant la tête, il versait des larmes, le manteau tendu devant les yeux. Elle vint se placer près de son père et lui dit: « Père, me voici. Je livre ma personne pour ma patrie et pour la terre de Grèce tout entière: sacrifiez-moi, j'y consens, menez-moi à l'autel de la déesse, puisque l'oracle l'exige. Autant qu'il dépend de moi, soyez heureux, obtenez la victoire pour vos armes et regagnez le sol de la patrie. Aussi, qu'aucun Argien ne porte la main sur moi: je tendrai ma gorge en silence, courageusement.
Elle n'en dit pas plus. Chacun à l'entendre fut frappé de stupeur devant la grandeur d'âme et la vaillance de la vierge. Se dressant. au milieu de la foule, Talthybios, dont c'était l'office, prescrivit à l'armée le silence rituel. Le devin Calchas déposa dans la corbeille d'or l'épée acérée qu'il avait tirée du fourreau, puis couronna la jeune fille. Le fils de Pélée prit la corbeille et l'eau lustrale, il décrivit un cercle autour de l'autel de la 1a déesse en l'aspergeant, et dit : « Fille de Zeus, chasseresse, toi qui fais tourner dans la nuit ton flambeau brillant, agrée ce sacrifice que nous t'offrons, l'armée grecque et le roi Agamemnon ensemble, le sang pur de cette belle gorge virginale. Accorde à nos marins une traversée sans dommages et à nos armes la conquête de la citadelle troyenne ! »
Les Atrides et toute l'armée restaient immobiles, les yeux fixés à terre. Le prêtre saisit l'épée, prononça l'invocation et choisit l'endroit de la gorge où il devrait frapper. Moi aussi, je sentais une terrible angoisse me pénétrer le cœur et je restais la tête baissée. Soudain un prodige se manifeste à nos yeux: chacun avait entendu distinctement résonner le coup, mais on ne voyait pas en quel endroit de la terre la jeune fille avait disparu. Le prêtre pousse alors un cri et toute l'armée lui fait écho à la vue d'un miracle inouï, œuvre d quelque divinité, devant lequel on ne pouvait même en croire ses yeux : une biche palpitante gisait sur le sol, d’une taille immense et d’une admirable beauté. Son sang ruisselait à flots sur l’autel de la déesse. A cet instant, avec la joie que tu devines, Calchas dit: « Chefs de cette armée des Achéens unis, voyez-vous la victime que la déesse a déposée sur l'autel, une biche des montagnes ? Elle l'agrée de préférence à la jeune fille pour ne pas souiller son autel d'un sang généreux. Ainsi satisfaite, elle nous accorde des vents favorables pour aller attaquer Ilion. Que chacun dans la flotte reprenne donc confiance et se rende à bord. Car aujourd'hui même il nous faut quitter les calanques d'Aulis franchir les flots de l’Egée.
Lorsque la victime eut été entièrement consumée dans la flamme d'Héphaïstos, Calchas fit les prières d'usage pour obtenir à l'armée une bonne traversée. Agamemnon m'envoie pour te rapporter cela, pour te dire aussi quel destin les dieux réservent à ta fille et quelle gloire impérissable elle s'est acquise à travers la Grèce. Moi-même qui étais là et qui ai vu ta chose, je te le dis: à coup sur, ton enfant s'est envolée chez les dieux. Prends sur ton chagrina. et relâche ta colère envers ton époux. Imprévisible pour les mortels est l'action des dieux, et ils sauvent ceux qu'ils aiment. Ainsi ce jour a vu ta fille mourir et revoir la lumière.
LE CORYPHEE. - Quelle joie pour moi d'entendre ce message ! Il assure que ta fille est vivante et demeure chez les dieux.
CL YTEMNESTRE. - Mon enfant, quel est le dieu qui t'a ravie ? De quel nom te saluer? Comment assurer que ce récit consolant n'est pas une vaine fiction destinée à apaiser en moi le chagrin de ta perte?
LE CORYPHEE. - Voici le seigneur Agamemnon qui s'avance: ce récit, il est en mesure de te le confirmer
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AGAMEMNON. - Femme, bénis soyons-nous dans notre fille, car il est bien réel qu'elle partage l'existence des dieux. il te faut reprendre ce nourrisson de bonne race et rentrer au palais, car le départ de l'armée est en vue. Adieu ! Bien du temps s'écoulera avant que je ne t'adresse mon salut au retour de Troie. Et que tout aille bien pour toi !
LE CORYPHEE - Sois heureux, fils d'Atrée, à ton arrivée sur le sol phrygien, heureux à ton retour, avec les splendides trophées que tu nous rapporteras de Troie.
Iphigénie à Aulis, Euripide Stasimon et Exodos, trad F Jouan, les Belles lettres
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