ANNEXES

   

Annexe 7 :             

Texte 1 :
« Puisque donc la composition, dans la tragédie la plus belle, ne doit pas être simple mais com­plexe  et que de plus la tragédie doit imiter des faits qui suscitent la crainte et la pitié  (car c'est là le propre d'une imitation de ce genre), d'abord il est évident qu'on ne doit pas y voir les bons passant du bonheur au malheur (ce spectacle n'inspire ni crainte ni pitié mais répugnance), ni les méchants passant du malheur au bonheur (c'est de tous les cas le plus éloigné du tragique car il ne remplit aucune des conditions requises: il n'éveille ni sentiment d'humanité, ni pitié, ni crainte), ni d'autre part l'homme foncièrement mauvais tomber du bonheur dans le malheur.
Reste par conséquent le héros qui occupe une situation intermédiaire entre celles-là. C'est le cas de l'homme qui, sans être éminemment vertueux et juste, tombe dans le malheur non à raison de sa méchanceté et de sa perversité mais à la suite de l'une ou l'autre erreur qu'il a commise, et qui est de ceux qui sont situés dans un haut degré de renommée et de prospé­rité, comme, par exemple, Œdipe, Thyeste et les membres fameux de pareilles familles. Il faut donc que la fable pour être bien soit simple, plutôt que d'être double, comme le veulent cer­tains, et il doit y avoir revirement non du malheur au bonheur mais au contraire du bonheur au malheur, ce revirement survenant non à cause de la perversité mais à cause d'une erreur grave d'un héros ou tel que je viens de dire ou meilleur plutôt que pire ».                                                                                                                                                                           
Aristote, Poétique, IVe siècle av. J.-C.

 

Texte 2 :


IL n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
 Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux:
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainsi pour nous charmer, la tragédie en pleurs
 D'Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs,
 D'Oreste parricide exprima les alarmes,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.
Vous donc qui, d'un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le coeur, l'échauffe et le remue.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne nous remplit d'une douce terreur,
Ou n'excite en notre âme une pitié charmante,
En vain vous étalez une scène savante :
Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir
Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s'endort ou vous critique.
Le secret est d'abord de plaire et de toucher :
Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.
Que dès les premiers vers l'action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l'entrée.

Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.
J'aimerais mieux encor qu'il déclinât son nom
Et dît: « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon »,
Que d'aller, par un tas de confuses merveilles,
Sans rien dire à l'esprit, étourdir les oreilles :
Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.
Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué.
Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées (1),
Sur la scène en un jour renferme des années :
Là souvent le héros d'un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon au dernier.
     Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu'avec art l'action se ménage ;
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.
Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable :
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
 L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas.
       Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose :
Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ;
Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux.
                                              
        Boileau, Art poétique (1674) ; chant III.

 

(1) Allusion à Lope de Vega.