La   notion de problématique
dans l'enseignement du français :
L’ILE DES ESCLAVES de MARIVAUX

Documents annexes

 

 

 

 

 

 

 

La méthode VINAVER   

   "La méthode repose sur le postulat que la lecture au ralenti d'un fragment suffit à révéler pour l'essentiel le mode de fonctionnement de l'œuvre tout entière ; il s'agit d'un regard porté sur le texte à un niveau qu'on peut appeler moléculaire, et de ce point de vue la méthode renvoie à la façon dont la géologie et la biologie opèrent : par prélèvements observés au microscope. On estime souvent que l'analyse pratiquée dans le domaine de l'art dessèche son objet. Les travaux rassemblés ici vou­draient montrer qu'elle peut, au contraire, rendre l'objet plus étonnant, plus émouvant, plus aimable.­ »   p11

 I. -INTRODUCTION A LA MÉTH0DE

  1. Elle part du caractère spécifique de l'écriture théâtrale.
  2. En même temps, elle relie l'écriture théâtrale à toute écriture quelle qu'elle soit, à l'écriture en général ; elle l'insère donc dans le champ de la littérature, tout en affirmant sans cesse sa singularité.   
  3. Elle met en contact directement et immédiatement avec la vie même du texte, sans exiger un savoir préa­lable : historique, linguistique, sémiologique par exemple ; théâtral ou littéraire ; ou culturel en général.
  4. Elle ne présuppose pas l'adhésion à une "théorie", ni l'acquisition d'un "métalangage".
  5. Elle n'est pas moins dramaturgique que textuelle. Elle s'adresse tant au simple  lecteur qui souhaite accroître ses voies d'accès dans l'oeuvre qu'au praticien (metteur en scène, acteur) qui s'engage dans un travail   dramatur­gique. Sans jamais aborder les questions de mise en scène, elle permet de saisir comment le texte fonctionne en tant qu'objet théâtral. A quoi s'ajoute le fait qu'elle est "économique" , pour qui voudrait passer à un stade de réalisation, consistant principalement dans l'examen détaillé d'un fragment (voir "Mode d'emploi" plus loin).
  6. Elle enterre la querelle: primauté du texte / primauté de la représentation.
  7. Elle fournit un ensemble d'outils permettant de situer une oeuvre dans l'univers des oeuvres drama­tiques de tous les genres, temps, pays…ou par rapport à toute oeuvre dramatique en particulier.
  8. L'usage de ces outils a aussi pour effet de rapprocher les oeuvres théâtrales contemporaines du répertoire du passé, notamment des "classiques". Elle désenclave l'écriture dramatique d'aujourd'hui.
  9. Elle n'aboutit pas à une "typologie" des textes de théâtre, mais permet de dresser une "topographie", à l'intérieur de laquelle une oeuvre trouvera sa position singulière.
  10. Elle procure un sentiment d'aventure, parce que son chemin n'est pas tracé à l'avance. Elle n'est pas autoritaire. Elle propose un équipement destiné à partir "à la découverte".
  11. Elle demande à être utilisée, non dans un esprit scientifique, mais plutôt dans un esprit de bricolage. Les outils qu'elle propose sont suffisamment imprécis pour que soit découragée la construction d'un système. Néanmoins, pédagogiquement, elle exerce à la préci­sion et à la rigueur dans le travail. Elle n'autorise pas le lancer prématuré d'idées générales. Celles-ci se for­ment au fur et à mesure.
  12. Elle s'inscrit dans le sillage du propos de Proust : "C'est à la cime du particulier qu'éclôt le général. ..", ou de celui de Goethe: "Qu'on ne cherche rien derrière les surfaces, ce sont elles qui sont le secret."
  13. Elle se fonde sur un postulat qui se décompose dans les trois propositions suivantes: a) comprendre un texte de théâtre, c'est, principalement, voir com­ment il fonctionne dramaturgiquement ; b) le mode de fonctionnement dramaturgique se révèle par une exploration de la surface de la parole; c) l'analyse d'un petit échantillon de texte prélevé dans le tissu de l'oeuvre permet, pour l'essentiel, de déterminer le mode de fonctionnement de l'ensemble de la pièce, fournit toutes les clés nécessaires à la compréhension de l'œuvre dans sa totalité.

La troisième proposition peut surprendre. Elle se fonde sur un postulat plus en amont, à savoir : l'oeuvre est tout entière dans son écriture même, et l'écriture n'est pas quelque chose qui change en cours de route. Mais elle se fonde aussi, comme tout postulat, après coup, sur la vérification des résultats de l'expérience.

  1. Prélèvement d'un fragment pour "lecture au ralenti" : environ cinq à dix pour cent du volume de l'oeuvre. Le fragment peut aussi bien être le début de la pièce que toute partie de celle-ci paraissant, à première vue, carac­téristique de l'ouvrage entier. Aucun critère précis ne saurait être proposé pour le choix du fragment; on peut même demander au hasard d'en décider.
  2. Division du fragment en quelques segments, pour mieux en permettre la saisie. On décide (tant pis si c'est parfois avec un sentiment d'arbitraire) qu'un seg­ment s'achève et qu'un autre commence quand il y a, par exemple, un changement de sujet, ou de ton, ou d'intensité, ou d'interlocuteurs dans le dialogue.
  3. La "lecture au ralenti" se fait en s'arrêtant à chaque réplique, et commence par la question: quelle est la situation de départ ? Celle-ci étant définie, on relève, au fur et à mesure: a) les événements, b) les informa­tions, c) les thèmes (voir "Mots-outils" plus loin), de façon à isoler, dans le texte, ce qui est proprement action.
  4. L'essentiel de la "lecture au ralenti" consiste dans le pointage des actions d'une réplique à l'autre ou même à l'intérieur d'une réplique, c'est-à-dire au niveau molé­culaire du texte. Il s'agit des micro-actions produites par la parole (et, le cas échéant, par les didascalies). On cherche à déterminer :
    • a) "Qu'est-ce qui se passe" d'une réplique à l'autre et au sein de la réplique ? Quel mouvement s'est effectué pour opérer un passage entre une position et la posi­tion suivante ?
    • b) Par quel moyen est-ce que ça se passe" (au travers de quelle figure textuelle) ?
    • c) Quelles liaisons fonctionnelles s'opèrent entre la micro-action d'une part, et les événements, informa­tions et thèmes d'autre part ?
  5. La "lecture au ralenti" comporte des haltes. Parvenu au terme de chaque segment, puis du fragment, on s'arrête et on prend de la hauteur, pour considérer récapitulati­vement en quoi la succession des micro-actions analy­sées contribue à l'avancement de l'action aux niveaux de détail et d'ensemble. Car il y a lieu, pour saisir l'ac­tion dans une oeuvre théâtrale sous tous ses aspects du point de vue de son fonctionnement, de distinguer les   trois niveaux où l'on peut l'observer :
    • -la micro-action, déjà définie: c'est le niveau molécu­laire du texte, où sens et matière, le contenu séman­tique et le contenant formel (phonique et rythmique), ne font qu'un, interagissant au point d'être indisso­ciables ;
    • -l'action d'ensemble : c'est le niveau de la pièce prise dans son entier ;
    • -l'action de détail: c'est le niveau intermédiaire entre la micro-action et l'action d'ensemble: celui du segment ou de la séquence, celui du fragment dans son entier; le cas échéant, celui de la scène ou du tableau, celui de l'acte.

 On recherche, au niveau de l'action de détail :

a) "Qu'est-ce qui s'est passé" entre le début et la fin du segment, puis du fragment entier ? Quel mouvement s'est opéré entre la situation de départ et la situation présente ?

b) "Par quels moyens est-ce que ça s'est passé" : quel usage est fait de quelle combinaison de figures tex­tuelles ?

c) Quelles liaisons fonctionnelles s'observent entre l'ac­tion d'une part, les événements, les informations, les thèmes d'autre part ?

6. Partant des découvertes faites au cours de la "lecture au ralenti" du fragment, il reste à prendre une vue d'ensemble du mode de fonctionnement de l'oeuvre dans son entier. Pour ce faire, on repère la position du texte analysé sur un certain nombre d'axes drama­turgiques (voir plus loin). Il en résulte un profil géné­ral de l'oeuvre qui non seulement éclaire son mode de fonctionnement singulier, mais encore permet de mesurer ses convergences et ses écarts (sa "position") par rapport à toute autre oeuvre dramatique en parti­culier, et par rapport à l'univers des oeuvres de théâtre.

7. Lecture "à vitesse normale" de l'oeuvre entière. On vérifie, on complète, on ajuste, on corrige s'il le faut les résultats de l'analyse du fragment.

8. A ce stade, l'examen de l'oeuvre s'est fait en suspen­sion de tout contexte. In fine, on prend en compte les principales données historiques, socio-économiques, culturelles et biographiques permettant de situer l'oeuvre dans son environnement et d'apprécier certains de ses aspects autres que textuels et dramaturgiques.

9. Rien n'interdit, en bout de course, de porter un juge­ment de "valeur" sur la pièce, la valeur se mesurant à la puissance de l'effet qu'elle a sur nous (ce qu'elle nous donne à ressentir:, à percevoir, à comprendre), au plai­sir qu'elle nous apporte, à l'intensité d'intérêt qu'elle suscite en nous; et sur les moyens qu'elle met en oeuvre pour y parvenir : la pensée, l'émotion, la charge poétique, le rire, la séduction. .. » p 893/898

                                                              Michel Vinaver, Ecritures dramatiques, Actes Sud, 1993.

       

 

 

                              

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Scène 1  

                          Segment 1   :

IPHICRATE s'avance tristement sur le théâtre avec ARLEQUIN.

« Tristement » qui annonce « soupiré » précise l’état d’esprit d’Iphicrate ; « théâtre » est intéressant car il introduit une ambiguïté sur la nature symbolique de l’île, elle devient une scène où l’on joue . «  Avec » n’est pas « et  » il y a donc une disjonction entre le maître et le valet, celui-ci est à la traîne.

 

IPHICRATE, après avoir soupiré. Arlequin ?

On note la surcharge de la didascalie et son imprécision, dans le code du théâtre « soupir » renvoie aux histoires de cœur, « Arlequin  » est également chargé dans ce sens, rien ne laisse supposer le dramatique de la situation. Nous sommes dans un schéma classique maître valet, mais la nature du problème n’est pas précisée.

On peut également s’interroger sur la fonction du «  ? » Il peut confirmer le besoin de renforcer le couple de la part du maître, mais également marquer sa faiblesse.

 

ARLEQUIN, avec une bouteille de vin qu'il a à sa ceinture.
     Mon patron.

Présentation archétypale d’Arlequin, l’ivrogne et une forme d’insolence dans la soumission avec « Mon patron ».

Toutefois, on aurait pu s’attendre à une interrogative en retour pour qu’il s’interroge sur la demande non formulée du maître. A la distance spatiale marquée par le « avec »   s’ajoute la distance dans le ton.

 

IPHICRATE. Que deviendrons-nous dans cette île ?

Cette réplique apporte une information éclairant ce qui précède : l’inquiétude ( marquée par « ? ») du maître est d’un autre ordre, l’île exclut l’histoire d’amour, mais évoque plutôt la solitude et l’explosion du cadre social , spatial et temporel. L’emploi du futur exprime cette angoisse , le « nous  » englobant Arlequin apparaît comme un moyen de se rassurer. Le topoï des naufragés nous invite à imaginer l’explosion des rapports maitre/valet qui évolueraient vers des rapports plus humains. Le démonstratif « cette » surdéfinit la nature particulière de l’île sans nous donner d’explication

 

ARLEQUIN. Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim: voilà mon sentiment et notre histoire.

  La réponse d’Arlequin frappe par sa froideur, la reprise syntaxique, la ponctuation neutre voire didactique avec les « : » , nous surprend. Le valet détourne la charge pathétique de la question par un jeu sur le sens du verbe devenir, à une question sur l’existence posée par le maître, il répond par une description du devenir de leur propre corps. Le valet s’enferme dans sa posture matérialiste qui lui fait employer le mot sentiment à contre emploi dans sa réplique. On note également une mise en avant du « mon » soit pour le distinguer du « nous », soit pour marquer une posture critique vis-à-vis du maître sans doute peu habitué à demander l’avis de son valet .

 

IPHICRATE. Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos camarades ont péri, et j'envie maintenant leur sort.

Le maître entame un récit dans lequel il va présenter l’historique de la situation. Mais dans ce récit on note une information qui n’est pas du seul domaine du récit : le « et » à valeur d’opposition et nous invite à nous interroger sur la valeur du « maintenant » d’autant que celui-ci fait écho à « cette île ».

Iphicrate nous laisse entrevoir que « ici et maintenant » se pose un problème qui le concerne tout particulièrement, d’où le passage du « nous » au « je » .

ARLEQUIN. Hélas! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même commodité.

L’ouverture de la réplique par « hélas » pourrait nous laisser supposer une reprise du pathétique amorcé par « seuls, naufrage, nos camarades ont péri », mais le truisme « ils sont noyés dans la mer » la virgule , le « et  » nous laissent entrevoir un registre plus ironique, ironie qui se manifeste également, quoi qu’en disent les notes avec le mot « commodité ».

IPHICRATE. Dis-moi; quand notre vaisseau s'est brisé contre le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps de se jeter dans la chaloupe; il est vrai que les vagues l'ont enveloppée, je ne sais ce qu'elle est deve­nue; mais peut-être auront-ils eu le bonheur d'aborder en quelque endroit de l'île, et je suis d'avis que nous les cherchions.

Le maître poursuit son récit mais cherche à impliquer Arlequin dans sa propre version des faits ; il voudrait que celui-ci gomme ses doutes «  je ne sais, mais peut-être . » Ce qui surprend c’est l’amabilité du maître «  je suis d’avis que nous les cherchions » qui évite toutes les tournures impératives. L’amabilité est du côté du maître, la froideur et la rudesse du côté du valet .

 

  ARLEQUIN. Cherchons, il n'y a pas de mal à cela; mais reposons-nous auparavant pour boire un petit coup d'eau-de-vie : j'ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j'en boirai les deux tiers, comme de raison, et puis je vous donnerai le reste.

Arlequin ne répond pas avec une véritable conviction à la demande du maître, la simple reprise de « cherchons » aussitôt relativisée par « il n’y   a pas de mal à cela » introduit une grande distance entre les deux personnages, celle-ci est marquée par le « mais »   qui oppose : recherche / repos ; sentiments /ivrognerie ; camarades sauvés/ bouteille sauvée ; maître/valet . On peut également observer que la bouteille de vin contient de l’eau de vie. Symboliquement Arlequin se préoccupe de sa propre vie aux deux tiers, de celle de son maître à un tiers, des autres pour rien.

Bilan du segment 1 , informations retenues :

Segment 2 :

 IPHICRATE. Eh, ne perdons point de temps, suis-moi, ne négligeons rien pour nous tirer d'ici; si je ne me sauve, je suis perdu, je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l'île des Esclaves.

L’interjection (sans exclamation) marque une rupture dans le discours du maître ; il retrouve une forme de volonté qui se manifeste également par l’usage de l’impératif. On note également une rupture entre les deux parties de la phrase segmentée par le « je », d’abord le « nous » puis vient le « je ».Cette réplique permet également de clarifier la situation « cette » et « maintenant » renvoie clairement à un objet de crainte ici identifié par « l’île des esclaves ».  

ARLEQUIN. Oh, oh ! qu'est-ce que c'est que cette race­ là ?

Arlequin par sa question va permettre à Iphicrate d’éclairer le spectateur sur la nature de cette île et sur les dangers encourus par le maître. « oh ,oh ! » indique un réveil de la part du valet , la réplique n’est pas une simple reprise mais découle d’un véritable intérêt ; le mot « race » sans doute d’un niveau de langue familier, permet également de situer le thème de la pièce, déjà amorcé dans le segment 1 : maître et esclave appartiennent-ils à une même humanité ?

   IPHICRATE. Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir dans une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage.

   Arlequin le maître dans le cadre de la double énonciation fournit un discours explicatif sur la nature de l’île des esclaves et plante le décor : alors que la menace semblait venir dans le segment 1 du caractère désertique (faim) de cette île, on découvre une île habitée organisée selon une coutume ; nous changeons de registre, au topoï des naufragés succède celui du monde inversé. Ce discours montre également la "prudence" du maître à l’égard du valet : « je crois que c’est ici », l’incise « mon cher Arlequin » . Pour ne pas trop centrer le discours sur son propre sort, Iphicrate adopte une tournure généralisante «  tous les maîtres ».

 ARLEQUIN. Eh ! Chaque pays a sa coutume: ils tuent les maîtres, à la bonne heure, je l'ai entendu dire aussi ; mais on dit qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi.

Arlequin reprend l’interjection du maître, mais avec l’exclamation ce qui manifeste le grand intérêt suscité par la réplique précédente. Le valet comme à son habitude prend de la distance par rapport à l’information : ponctuation neutre, tournures généralisantes, voire ambiguës . Ce ton concerne la première partie de la réplique évoquant le sort du maître, quand il s’agit de lui, le valet marque la rupture par le « mais » et insiste avec le « comme moi ».

IPHICRATE. Cela est vrai.

La réponse brève invite Arlequin à poursuivre son raisonnement et à déboucher sur des conclusions portant sur le sort réservé à Iphicrate : peut-il laisser mourir son maître ?

ARLEQUIN. Eh! encore vit-on.

Arlequin esquive la question par l’emploi du « on » et une généralité qui tend à repousser le problème dans le temps , emploi de « encore ». Le « eh ! » est une forme de lanceur permettant à Arlequin d’introduire sa réplique sans souci de cohérence du raisonnement et sans se référer à l’interlocuteur . ( héritage des lazzi)

IPHICRATE. Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie; Arlequin, cela ne suffit-il pas pour me plaindre ?

Devant cette distance Iphicrate   précise les données du problème éludé par Arlequin et articule un raisonnement avec le « mais » ; pour provoquer une prise de position d’ Arlequin il l’implique par une question.

 

ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire.

  Ah ! Je vous plains de tout mon coeur, cela est juste.

Arlequin retrouve une posture distanciée avec reprise syntaxique et l’emploi de « cela » qui crée une distance et lui permet de ne pas reprendre la thématique proposée par le maître ; la compassion ne débouche par contre sur aucune action de mobilisation, au contraire la didascalie indique un moyen de fuite déjà utilisé précédemment.

 

IPHICRATE. Suis-moi donc ?

L’emploi du « donc » cherche à impliquer le valet dans le raisonnement du maître, le point d’interrogation indique que nous sommes dans la supplication et non plus dans l’ordre, le maître n’est plus maître de la situation.

ARLEQUIN siffle. Hu, hu, hu.

Arlequin par son sifflement coupe court à la conversation et amplifie la distance qu’il veut prendre par rapport à son maître.

IPHICRATE. Comment donc, que veux-tu dire ?

Iphicrate par le « donc » tente de ramener Arlequin à un discours raisonné, il veut pousser le valet à exprimer clairement son point de vue.

ARLEQUIN distrait chante. Tala ta lara.

Arlequin par les mots « distrait, chante » est en décalage complet par rapport à la gravité de la situation pour le maître. Il se referme sur sa propre destinée.

IPHICRATE. Parle donc, as-tu perdu l'esprit, à quoi penses-tu ?

 Le maître insiste toujours sur le « donc » mais lui donne plus de force par l’impératif, on note également une gradation entre l’emploi du «  dire » et du « penser ». Il espère sans doute obliger Arlequin à formuler sa position avec toutes ses conséquences et à les assumer, il miserait donc sur la faiblesse de caractère du valet .

ARLEQUIN, riant. Ah, ah, ah, monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure; je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais m'empêcher d'en rire.

Arlequin révèle le fond de sa pensée en insistant sur le côté ironique de la situation , le « mais » prend toute sa force en opposant « plaindre, foi » à « drôle, rire ». Le valet est le témoin d’un renversement il y assiste comme au spectacle sans se préoccuper des conséquences. Arlequin issu de la comédie ne peut accéder à l’humanité.

IPHICRATE, à part les premiers mots. Le coquin abuse de ma situation, j'ai mal fait de lui dire où nous sommes. Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos, marchons de ce côté.

Parallèlement, le maître par son a parte nous éclaire sur ses véritables sentiments, son humanité à l’égard du valet était feinte, il s’agissait pour lui de se sauver avant tout .Il abandonne d’ailleurs la discussion et veut entraîner Arlequin dans l’action par l’impératif. Le maître est donc toujours dans son rôle de dominant .

ARLEQUIN . J'ai les jambes si engourdies.

Arlequin par ce procédé souligne sa propre faiblesse de caractère. Il met son corps en avant pour ne pas avoir à justifier son attitude.

IPHICRATE. Avançons, je t'en prie.

C’est l’ultime étape dans la persuasion, le maître ne pourra pas aller plus loin dans sa stratégie de séduction, il se met en posture d’infériorité par rapport au valet.

ARLEQUIN. Je t’en prie, je t’en prie; comme vous êtes civil et poli ; c’est l’air du pays qui fait cela.

Arlequin montre qu’il n’est pas dupe et nous renseigne sur l’attitude habituelle du maître ; la fin de la réplique rappelle au maître la situation nouvelle dans laquelle ils se trouvent.

 

IPHICRATE. Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux.

Dans cette réplique le maître tente de reprendre la situation en main, il ne répond pas à Arlequin et essaie de recréer la relation par la première personne du pluriel et l’emploi de l’impératif puis du futur pour se projeter dans le temps. La forme pronominale « nous nous » évoque une volonté partagée de retrouver la statut antérieur. La syntaxe très fluide avec « que » et « ; et » laisse penser sous la forme du constat que tout cela va de soi, que c’est l’ordre des choses.

ARLEQUIN, en badinant. Badin, comme vous tournez cela. (Il chante :)

              L'embarquement est divin,
              Quand on vogue, vogue, vogue ; L'embarquement est divin
              Quand on vogue avec Catin.

Arlequin décode très bien le discours du maître et dénonce cette fausse évidence par le terme de « badin » ; le verbe tourner montre de la part du valet une réelle capacité à déjouer les artifices de langage du maître. Pour souligner l’artifice de la réplique précédente il développe une chanson sur le même thème, celui de l’embarquement , et remplace le maître par Catin.

Bilan du segment 2 , informations retenues :

 

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