Le travail avec la méthode Narramus est tout d’abord limité dans le temps ; les enseignants de l’école Gérard Philipe l’ont mené sur une période de six semaines environ à raison de huit modules qui nécessitent un travail quotidien autour de l’album de vingt minutes environ en moyenne. Cette méthode a présenté un intérêt comme levier de réflexion pédagogique autour des méthodes d’apprentissage de la lecture. Auparavant, les séances de lecture se déroulaient traditionnellement par un va-et-vient entre le récit de l’enseignant et les illustrations de l’album ; dans un second temps seulement se faisait l’approche plus fine de l’histoire, avec notamment la découverte et l’apprentissage du vocabulaire nouveau. Avec Narramus, le déroulement d’une séance suit un autre ordre et une autre logique. La première étape consiste, avant de rentrer dans l’histoire, à décortiquer le vocabulaire avec des dessins et photos représentant des éléments de l’histoire qui sont projetés par le VPI (vidéoprojecteur interactif), puis disparaissent, et réapparaissent. Ce travail liminaire sur le vocabulaire, volontairement un peu long et répétitif, peut aussi être relayé aussi par d’autres outils comme la boite à mots, les masques ou la maquette réalisée par l’équipe dont les enfants peuvent s’emparer pour réinvestir ce vocabulaire. Dans un second temps, l’histoire est lue et expliquée progressivement au fil des jours, avec le réinvestissement du vocabulaire préalablement assimilé. On crée aussi des horizons d’attente en demandant par exemple aux enfants d’imaginer la suite de l’histoire. On commence progressivement à les rendre conteurs de l’histoire en rejouant et racontant certains passages, indirectement et sous forme libre et ludique (masques, maquette…). Enfin, les enfants vont découvrir l’ensemble de l’album avec ses illustrations. In fine, le travail d’appropriation très méthodique et progressif du vocabulaire doit les amener à pouvoir raconter eux-mêmes l’histoire. Une séquence complète Narramus, qui comprend une vingtaine de séances et va durer de cinq à sept semaines, s’organise autour de cinq verbes : visualiser, mémoriser, raconter, imaginer et jouer (masques, maquette, memory). Cette séquence se fait avec la souplesse d’utiliser ou non et de manière plus ou moins forte les outils et médiations proposés. Il est également possible d’en créer d’autres pour que les enfants parviennent à s’approprier puis à raconter l’histoire au mieux.
Après une année d’expérimentation, le bilan qu’en dresse l’ensemble de l’équipe pour les enfants est positif, comme le dit B. Auvin, elle-même enseignante en petite et moyenne section : "La différence, c’est pour les élèves qui parlent très peu. Les séances répétitives sur le vocabulaire et la structure des phrases mettent ces enfants en capacité de raconter l’histoire." Les différents enseignants témoignent aussi d’enfants en difficulté avec le français qui prennent d’autres livres après cette séquence, d’enfants en joie grâce aux différents outils d’appropriation de l’histoire, les masques et la maquette notamment. Il en est ainsi de deux élèves qui ont prononcé leur premier mot à l’école -le mot "éléphant" en l’occurrence- devant la maquette. Les enseignants soulignent toutefois la nécessité de prendre davantage de recul et d’une évaluation plus fine pour mieux mesurer l’appropriation et la capacité de réinvestir du vocabulaire, notamment les notions plus abstraites. Enfin, concernant les élèves ayant une meilleure maîtrise initiale du français, la souplesse de la méthode et la variété des supports doivent permettre à tous les enfants d’apprendre et de progresser durant les séances. B. Auvin et F. Ignazi expliquent ainsi privilégier certains supports (ils n’ont pas utilisé le récit audio qui leur semblait ralentir le projet), pour permettre de faire des séances d’appropriation du vocabulaire avec une partie de la classe seulement ou d’utiliser les élèves les plus à l’aise dans des tâches plus complexes, comme celle de narrateur par exemple. Une autre collègue avait imaginé mettre le mot derrière l’image pour les élèves les plus avancés.