Avant d'être mise en place, l'EEP du lycée professionnel de Segré a d'abord fait l'objet d'un travail de préparation, depuis 2008, autour d'une équipe composée de deux professeurs de comptabilité, deux professeurs de secrétariat et un professeur de vente, avec l'appui d'une inspectrice. Ce travail a permis d'adapter à l'univers de la formation initiale un dispositif qui existait auparavant en formation continue pour les adultes.
Pour les élèves, l'EEP a commencé à fonctionner à partir de septembre 2009. Il s'agissait d'abord de donner forme au projet en y associant d'emblée les élèves qui avaient à déterminer les points suivants : que commercialiser ? Quel nom donner à l'entreprise ? Quel statut juridique choisir ? Enfin, quels seront les premiers documents commerciaux à produire ?
Ainsi est née l'EEP du lycée Blaise-Pascal, "SARL CHOCOBOIS", spécialisée dans la vente de chocolats, de jeux de société en bois écoconçus, et de jeux de société en chocolat. Dès cette étape, les élèves ont pu mettre en pratique ce qu'ils apprenaient simultanément par ailleurs.
Un fonctionnement en réseau
Sur un plan administratif, une EEP fonctionne exactement comme une entreprise ordinaire, mais il n'y a pas d'échanges de marchandises, ni de flux monétaires réels. Elle simule donc le plus précisément possible le fonctionnement des services commerciaux, administratifs et financiers d'une entreprise réelle, mais elle ne produit pas.
Chocobois adhère à un réseau, le REEP (Réseau des entreprises d'entraînement pédagogique), une association qui gère toutes les EEP françaises. Cette association perçoit une cotisation annuelle, versée par chaque EEP. En retour, elle donne accès au réseau commercial des entreprises virtuelles françaises et étrangères. Elle fournit tous les services dont l'EEP adhérente a besoin pour fonctionner: service fiscal, médecine du travail, centre de distribution du courrier, et banque. Les paiements se font par lettres de change, ou par chèques, qui peuvent très bien être rejetés s'ils sont mal rédigés. De même, des agios sont prévus en cas de mauvaise gestion... Les élèves s'initient de la sorte aux contraintes très réelles qu'ils seront amenés à rencontrer par la suite.
Des entreprises marraines
Parallèlement à l'accès au REEP, l'EEP du lycée Blaise-Pascal a bénéficié de l'appui d'entreprises marraines. En effet, ce sont elles qui permettent d'utiliser et de commercialiser, bien que virtuellement, leurs produits, ce qui donne à l'EEP toute sa légitimité professionnelle. Les objectifs affichés au moment de trouver ces entreprises marraines étaient les suivants : il fallait que les produits soient agréables à commercialiser pour les élèves ; qu'il y ait un ancrage local ou régional; que la dimension de développement durable soit présente; enfin, qu'il n'y ait pas de double emploi avec les autres EEP géographiquement proches (Laval, Avrillé...). Le choix s'est ainsi porté sur les domaines du jouet et du chocolat. Ces secteurs ont de fait en commun l'avantage de connaître des périodes de creux qui coïncident avec les vacances scolaires d'été, tandis que leurs pics d'activité se situent à Noël et à Pâques, soit au cœur de l'année scolaire, puisque l'EEP fonctionne de septembre jusqu'à la fin du mois d'avril. Certaines entreprises démarchées n'ont pas répondu, d'autres ont fermé. En définitive, les chocolateries Guisabel (de Candé) et Albert Chocolatier (des Herbiers), et la Mèche Rebelle Éditions (duMans), spécialiste de jeux de société en bois écoconçus, sont devenues les entreprises marraines de l'EEP qui a donc pris le nom de "Chocobois" afin de désigner les domaines d'activités choisis.
L'organisation de l'espace : pour une répartition des tâches
Au sein du lycée, l'EEP occupe un espace particulier. Un local lui est dédié, vaste, organisé comme peut l'être une entreprise. Différents pôles sont distribués dans l'espace : un accueil, un service comptabilité, un service commercial, deux postes de direction, un service secrétariat et, au centre, un espace de réunion. Des activités précises correspondent à chacun de ces pôles (
voir annexe). À l'accueil, par exemple, l'élève répond au téléphone, et se rend compte qu'il est nécessaire de ne pas oublier de prendre le nom des correspondants. Il prend aussi en charge la messagerie internet, tâche considérable après un retour de vacances, et peut constater que certains messages envoyés sont revenus à l'expéditeur. Puis il s'agit de répartir dans des chemises différentes les affaires en cours, les factures, les documents liés aux clients, aux fournisseurs, à la gestion des ressources humaines, aux banques ou aux services fiscaux... Chaque activité impose ainsi une rigueur qui participe de la professionnalisation des élèves en les inscrivant dans des situations professionnelles réelles. Michèle Aguir impose également aux élèves de circuler d'un pôle à l'autre: les élèves qui se destinent à la vente, par exemple, passent aussi par l'accueil et le secrétariat. C'est ainsi que les différentes facettes du fonctionnement d'une PME sont appréhendées par ces élèves qui, de cette manière, préparent leur insertion dans la vie active. Enfin, le réseau des EEP étant international (plus de cinq mille EEP existent, dans près de quarante pays), les courriers, notamment électroniques, permettent aussi de pratiquer les langues étrangères dans un contexte professionnel.
L'organisation du temps : pour une répartition des responsabilités
Toutes les classes du tertiaire (comptabilité, secrétariat, vente...) peuvent venir dans cet espace. En fonction des choix des professeurs et de leurs progressions pédagogiques, la fréquence des passages peut varier, d'une venue ponctuelle dans l'année scolaire à une fréquentation de deux heures hebdomadaires par groupe. Chaque élève se voit attribuer un identifiant, ce qui responsabilise chacun, puisque cela permet une forme de "traçabilité" des actions effectuées. On peut ainsi savoir que cent soixante-quatre élèves sont passés dans l'EEP depuis deux années scolaires. Le roulement permet d'assurer un minimum de permanence dans l'EEP. Mais chaque groupe mène des opérations qui lui sont propres, afin d'éviter les chevauchements. Par exemple, des élèves peuvent préparer un argumentaire en vue des salons régionaux, interrégionaux ou internationaux, qui rassemblent de multiples EEP, et au cours desquels Chocobois essaie de "vendre" au maximum ses produits. Dans le même temps, d'autres s'attellent à la confection d'un dépliant qui résume les objectifs de l'EEP, et présente sommairement ses produits. D'autres encore peuvent confectionner un catalogue ou monter des opérations ponctuelles autour d'une date comme celle de Noël. Chaque groupe et, à l'intérieur des groupes, chaque élève, traite ses propres activités et en assure le suivi, une continuité des actions qui lui permet donc d'apprécier l'impact de ce qu'il a mis en place. C'est ainsi qu'une opération ponctuelle imaginée par quelques élèves à l'occasion d'Halloween n'a pas rencontré le succès espéré. Cette approche pédagogique favorise l'individualisation des parcours en permettant une grande souplesse dans le rythme d'acquisition des compétences en situation, particulièrement pertinente dans un contexte d'accès au baccalauréat professionnel.
L'intégration du travail en EEP dans les référentiels de formation
Le travail en EEP est donc ainsi conçu que s'il y a une erreur, elle se voit et se mesure directement, depuis le mauvais classement d'un courrier jusqu'à un projet de longue haleine qui n'a pas rencontré de succès. L'articulation des activités commerciales, comptables, et administratives, fait que les élèves mettent en pratique les contenus des référentiels. Par exemple, pour réaliser des devis, les élèves manipulent les différents taux de TVA. Une venue ponctuelle peut aussi leur permettre de pratiquer d'autres activités en lien avec les référentiels de compétences (enregistrer du courrier, téléphoner...). Michèle Aguir considère ainsi que le travail en EEP ne constitue pas une perte de temps, bien au contraire : il est ainsi possible d'y intégrer des contrôles en cours de formation, comme la création d'un formulaire d'enquête de satisfaction, qui ne sont pas des exercices hors d'une situation professionnelle, mais sont contextualisés dans la vie de l'EEP. Paradoxalement, cette entreprise virtuelle paraît donc bien réelle par rapport à des exercices proposés par un manuel.
Le statut de l'EEP dans l'établissement : leviers et freins
Une EEP est un projet à long terme, qui représente un investissement considérable pour un établissement scolaire. Au lycée Blaise-Pascal de Segré, l'appui de la direction au moment de créer Chocobois a permis de trouver les locaux indispensables à l'installation. Par ailleurs, la Région Pays de la Loire a fourni le mobilier. Il est à noter que pour le moment, des classes entières ne peuvent venir dans l'EEP qui ne peut fonctionner qu'avec des groupes plus restreints par manque de postes informatiques. Sur le plan administratif, l'EEP est considérée comme une matière à part entière, c'est-à-dire qu'une ligne budgétaire lui est affectée comme à chaque discipline d'enseignement. C'est ce qui lui permet de s'équiper (en jeux, fournitures diverses) avec des crédits clairement identifiés. Ces dispositions relèvent donc d'une priorité d'établissement qui nécessite, peut-être, de ne pas retenir d'autres choix dans le pôle tertiaire. D'un point de vue pédagogique, le défi reste d'articuler les exigences des programmes avec le temps passé en EEP. Cela nécessite un réel investissement pour les enseignants. Il semblerait, à cet égard, qu'une expérience préalable en entreprise constitue une plus-value pour optimiser le travail en EEP avec des élèves.