Les comptes-rendus de ce dossier font appel à l'expérience de professionnels très variés (
voir annexe). Tous engagés dans des missions éducatives, ils mènent régulièrement des entretiens avec les jeunes qu'ils ont en charge. Tous n'ont pas tous les mêmes objectifs, les jeunes qu'ils reçoivent sont dans des situations variées, à des moments très divers de leur parcours ; leur prise en charge peut être ponctuelle ou s'inscrire dans une durée plus longue... Bref, les cas sont très différents. Et pourtant, au-delà des dissemblances, la lecture des expériences qu'ils apportent fait apparaître une remarquable convergence dans l'approche comme dans les modalités et les objectifs d'une pratique réfléchie de ces moments de tête-à-tête qui ne sont, comme le souligne l'un des professionnels, "jamais anodins". L'intérêt de leur parole est peut-être là, justement : de rappeler que l'entretien, que chacun pratique parfois comme monsieur Jourdain, n'est pas un acte qui peut être appréhendé à la légère. Souvent, il engage beaucoup, pour le jeune comme pour son parcours éducatif. Pour que l'entretien ne reste pas lettre morte, discréditant ainsi à la longue aussi bien l'acte lui-même que le système qui le propose, certaines précautions sont à prendre, que nous allons tenter de dégager.
Pas de technique, mais de l'humain
La plupart des entretiens sont duels : le plus souvent, un jeune et un professionnel. Mais on voit aussi des entretiens élargis, d'un côté comme de l'autre : un jeune et ses parents, les protagonistes d'un différend, par exemple, ou plusieurs membres de la communauté éducative. Toutes ces rencontres sont des moments "à part" qui permettent, dans un lieu isolé, une relative intimité. Même lorsque l'isolement total n'est pas possible, l'aparté est toujours la condition sine qua non d'une relation privilégiée avec un individu, voire un petit groupe dans le cas de certains entretiens pédagogiques. La plupart des professionnels insistent sur une mise en garde salutaire. Méfiance ! disent-ils. Il n'existe pas de recettes miracles, d'outils systématiquement applicables, de procédures figées, de techniques ou de méthodes imparables, même si certains d'entre eux sont ponctuellement utilisés. Chaque entretien est unique, parce qu'on a affaire à de l'humain, que chaque être a une histoire, une personnalité, des circonstances de vie différentes, parce que la rencontre intervient à un moment donné d'un parcours personnel. Pas de systématisme, donc, mais une grande vigilance et une grande disponibilité de celui qui mène l'entretien, un terme largement récusé par ailleurs : mener, conduire, diriger... autant de termes qui ne conviennent pas dans une relation d'échanges qui se base sur certaines formes de réciprocité. L'entretien se définit aussi par ce qu'il ne doit pas être : tribunal qui juge, injonctions ou exhortations verbeuses, leçon de morale, interrogatoire plus ou moins inquisiteur, thérapie, annonce péremptoire d'une décision déjà prise d'avance, sermon qui impose une voix/voie et cherche à inculquer des valeurs personnelles... Ceci dit, sans prétendre tout diriger, le professionnel peut aussi savoir où il va, et mettre de son côté toutes les chances pour aboutir à une solution. Ce qui passe d'abord par des éléments matériels.
Des conditions matérielles qui ne sont pas secondaires
Tout compte, et tout doit être pensé. Le lieu n'est pas indifférent. Accueillir derrière un bureau place l'autre dans un rapport hiérarchique, s'asseoir côte à côte autour d'une table implique une relation plus égalitaire et conviviale. Convoquer quelqu'un ne place pas l'entretien sous les mêmes auspices que de l'inviter à venir discuter. Un entretien dans l'urgence n'implique pas les mêmes échanges qu'un entretien qu'on aura différé, pour une raison ou l'autre. Là encore, tout dépend des objectifs : un entretien autour du non-respect de la loi ne prendra pas la même forme qu'une tentative de débloquer la parole d'un jeune emmuré dans son mutisme. La durée de l'entretien a également son importance. Quelques minutes peuvent suffire à un entretien pédagogique qui permettra de faire émerger la stratégie personnelle de l'élève sur un point ponctuel. Dans les situations où les professionnels sont continuellement avec les jeunes, il faut aussi savoir saisir l'instant au vol ; ce sont parfois dans des moments inattendus que l'entretien, "in medias res", est le plus productif, lorsqu'on partage des activités, que les barrières tombent. Parfois, il faudra prendre plus de temps, un temps programmé. Et il faut savoir aussi interrompre un entretien : plutôt que de s'enfermer dans une impasse, dans l'absence de dialogue et le refus, mieux vaut remettre à plus tard ce qui reste stérile aujourd'hui. Pas de règle unique, donc, mais des conditions qui doivent être pesées pour ne pas d'emblée compromettre la réussite d'un entretien. Quoi qu'il en soit, tout doit être mis en œuvre pour qu'il se passe au mieux. On place parfois une pancarte "ne pas déranger" sur la porte. Pancarte ou pas, tous soulignent cette nécessité : pas de téléphone, pas d'intervention extérieure (quand c'est possible), pas ou peu de prise de notes durant le dialogue. Le langage non verbal entre également en ligne de compte, le corps, les gestes, le regard parlent autant que les mots. Autant de facteurs qui pourraient perturber une relation qui doit rester privilégiée, avec un interlocuteur disponible à l'autre. Car qui dit entretien dit solution, et qui dit solution dit problème.
Une situation plus ou moins problématique qu'il faut mettre en mots
L'entretien a souvent lieu dans une situation particulière : un moment de crise, une étape charnière du parcours éducatif, un temps de questionnement sur son avenir, une situation de difficulté existentielle ou pédagogique, un constat d'échec, de blocage ou de souffrance. L'entretien apparaît alors nécessaire pour identifier et tenter de comprendre ce qui ne va pas, pour une raison ou une autre, l'objectif étant alors de trouver ensemble des solutions et de se donner les moyens de les réaliser. Éducatifs ou pédagogiques, tous les entretiens se retrouvent autour d'un même constat : la nécessité de mettre en mots une réalité au sujet de laquelle les deux interlocuteurs ne disposent pas de tous les éléments, et ceci dans le but d'améliorer l'existant. Il peut s'agir de définir ou de faciliter une orientation professionnelle, de trouver une voie pour remédier à une difficulté ou un échec scolaire, de remettre sur les rails un jeune en souffrance pour éviter un décrochage, de lui permettre de rester dans le cadre social lorsqu'il en a enfreint les règles... Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours de trouver des solutions par une relation personnalisée qui prend en compte l'individu dans sa globalité. Ce qui implique une forme de suivi. Souvent, ce n'est pas un, mais des entretiens qui sont nécessaires pour accompagner un parcours qui s'inscrit dans la durée et implique des changements. Les interlocuteurs ne se situent pas à égalité dans cet échange, même s'il est souvent nécessaire de ne pas insister sur le rapport hiérarchique pour permettre l'émergence d'une parole libre et sincère. L'un est un professionnel, qui a une bonne connaissance du système, des mécanismes ou des différentes solutions possibles. L'autre est souvent dans l'incompréhension, le doute, parfois la rupture. Comment rendre possible un véritable dialogue, dans ces conditions, et au-delà, réunir les conditions d'un changement qui ne peut se faire sans la volonté du principal concerné ? un entretien n'est ni anodin ni simple.