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mis à jour le 09/12/2015
Au collège Joachim-du-Bellay, dans le Maine-et-Loire, pour répondre à un climat scolaire ressenti comme dégradé, toute une équipe s’engage autour d’un projet d’envergure, visant l’instauration d’un mieux-être pour tous et d’une parole respectueuse pour chacun. Quel diagnostic poser ? Quelles réponses apporter ? Comment un établissement scolaire peut-il s’emparer de la question du bien-être ?
mots clés : échanger, climat scolaire, harcèlement, intimidations, médiateurs
e collège Joachim-du-Bellay, qui relève de l’éducation prioritaire depuis 1989, accueille 472 élèves dont soixante-quatre en Segpa (Section de l’enseignement général et professionnel adapté). Deux tiers des effectifs sont situés en Zone urbaine sensible, à la périphérie de Cholet. En 2011-12, avec 815 retenues, 115 exclusions de cours, 48 exclusions temporaires, le climat scolaire est jugé dégradé par l’ensemble des acteurs du collège. Des périodes de tensions mettent en lumière la difficulté à nouer un dialogue de confiance avec les familles, tandis que les personnels et les élèves relatent des intimidations récurrentes, parfois même du harcèlement. Nouvellement arrivé, Thomas Gilbert, principal adjoint, propose au Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) une réflexion approfondie autour du vivre-ensemble. Avant tout, il s’agit de rechercher l’amélioration du climat scolaire pour tous, de “Favoriser les environnements pédagogiques positifs et soucieux du bien-être des élèves” (recommandation du rapport de février 2012 de l’OCDE pour le système éducatif français). Le climat scolaire se définit par la qualité de vie ressentie par les membres de la communauté. L’équipe éducative souhaite diminuer le nombre d’incidents liés à des situations d’intimidation ou de harcèlement entre élèves. Parallèlement, le projet du collège intitulé “Bien-être, être bien” vise le développement des compétences des professionnels de l’établissement, pour la gestion et l’amélioration du climat en classe. Soucieux d’établir un diagnostic objectif avant de planifier les actions d’un plan de prévention, le CESC organise, fin juin 2012, une vaste enquête contenant quarante-huit items (voir annexe) sur le thème du climat scolaire. Plus de quatre cents élèves, cent quarante-deux parents (près de vingt pour cent) et trente membres du personnel (dont dix-neuf enseignants) répondent au questionnaire.
Pour réaliser l’enquête, l’équipe s’appuie sur le modèle canadien de la “trousse d’évaluation de l’intimidation entre élèves en milieu scolaire”. Cette trousse offre une méthode standardisée, ainsi que des outils, pour mesurer la nature et la prévalence des relations problématiques entre enfants du même âge en milieu scolaire. Après l’adaptation du questionnaire à un contexte de collège français, il est proposé en relecture aux différents partenaires de l’école. Tous les membres du CESC prennent part à sa mise en œuvre ; les parents sont pleinement associés. Les éducateurs de prévention du quartier, en lien avec des traducteurs du Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), interviennent pour aider les familles allophones, leur expliquer le contenu et la démarche. Une lecture en amont est proposée aux enseignants. Le questionnaire final est validé après sa présentation au conseil d’administration. Les nombreux items concernent les sentiments de sécurité, d’injustice, l’intimidation entre élèves, la qualité ressentie de l’écoute des adultes, l’appartenance au groupe-classe… La CPE, Virginie Halbert, et l’infirmière, Édith Chouquet, ont largement participé à l’élaboration du questionnaire. Lors de sa diffusion en classe, aux côtés de l’enseignant, elles lisent à voix haute chaque intitulé : “Dans ton collège, as-tu peur d’être ridiculisé ? Que penses-tu que l’on puisse faire pour réduire l’intimidation ?…”. Elles reformulent chaque question, expliquent les modalités de réponse, afin de permettre une compréhension optimale du document, et ce, devant les vingt et une classes. Pour faciliter la liberté de réponse et la concentration, le questionnaire reste anonyme et les élèves bénéficient d’une table individuelle. Associées à l’enseignant présent, l’infirmière et la CPE restent la totalité de l’heure. Elles répondent aux nombreuses questions des élèves, certains curieux, d’autres intrigués : “Qu’est-ce qu’on va en faire après ? Nous, on est en troisième, on quitte le collège dans un mois, on n’est pas concernés ?”. C’est justement l’occasion de les valoriser en leur expliquant à quel point leur expérience peut servir. De fait, aucun élève ne refuse de remplir le questionnaire et tous s’y appliquent longuement. Sans doute la formulation avec le pronom personnel tu favorise-t-elle le dialogue (voir annexe), en instaurant un contexte de proximité. Enfin, les adultes récupèrent les questionnaires. La dernière page, détachable, peut être immédiatement déposée dans une boîte amenée pour l’occasion par tout élève qui souhaite solliciter l’aide urgente d’un adulte ; sur l’ensemble du collège, vingt adolescents se sont ainsi exprimés et ont bénéficié d’un suivi individualisé.
En septembre, les données recueillies sont diffusées par l’équipe de direction lors de la réunion de prérentrée. Les besoins majeurs exprimés concernent l’écoute des adolescents, le sentiment de justice, la gestion des violences. Trois quarts des élèves se disent témoins d’intimidations, verbales ou physiques, dans des lieux ciblés : couloirs, vestiaires de sport, cour d’école, toilettes (voir ci-dessous). En revanche, le restaurant scolaire, le foyer, le CDI sont identifiés comme des lieux sécurisants. Ici, on peut noter l’écart entre la perception des élèves et celle des adultes (parents y compris) : ceux-ci pensaient, à tort, que c’était sur le chemin de l’école que se produisaient le plus d’agressions. Thomas Gilbert, le principal adjoint, rappelle sa volonté de ne pas amalgamer le sentiment d’insécurité et l’insécurité réelle. Quelle réalité au-delà des rumeurs entendues ici et là ? L’enjeu du questionnaire consiste justement à rechercher des indicateurs objectifs pour sortir des stéréotypes, des clichés, des impressions : obtenir une vraie photographie de l’établissement, à un moment donné. Une autre information intéressante ressort de l’enquête : trente pour cent des mises à l’écart du groupe ont pour origine l’apparence corporelle (poids, taille). Enfin, plus d’un élève sur deux n’ose pas signaler un harcèlement s’il en est victime. À partir de ces données, trois axes prioritaires sont mis en place : une réflexion autour des lieux d’intimidation, un travail sur le respect du corps, une formation autour de la communication non violente.
Suite aux informations recueillies via le questionnaire, l’équipe du collège amorce une réflexion autour des lieux d’intimidation évoqués. L’un des endroits les plus cités concerne les couloirs (évoqué dans trente-six pour cent des questionnaires). Chaque adulte de la communauté éducative prend à cœur de faire enlever les cartables au milieu du passage, ou d’éviter le regroupement des élèves devant les portes, pour faciliter la circulation. Enseignant ou pas, chacun peut intervenir en cas d’incivilité constatée. Il a fallu interroger la cohérence et l’implication éducatives de tous les adultes. Ces règles communes, ces gestes qui peuvent sembler évidents, avaient en effet pu se diluer au fil du temps ; lorsque les tensions dans la salle de classe se multipliaient, elles pouvaient capter pleinement l’attention des professeurs, au détriment de ces quelques minutes entre chaque cours. Or, l’énervement dans les couloirs, les intimidations quelques minutes avant le cours, affectent la capacité d’écoute et la concentration des élèves, d’où l’intérêt de ce temps de réflexion collectif, suscité par les résultats du questionnaire. Autre lieu, la cour d’école est énoncée dans trente-trois pour cent des réponses. Auparavant, les assistants d’éducation se trouvaient souvent monopolisés par la distribution de papiers administratifs aux élèves au moment de la récréation. Désormais, deux assistants circulent dans la cour pour anticiper du regard les petits conflits latents, les bousculades ou les élèves isolés. Où se place-t-on dans la cour ? Quel est le rôle de chacun ? Ces questions sont rediscutées en équipe, avec la CPE. Plutôt que de rester à l’intérieur d’un groupe de collégiens, les assistants se positionnent désormais un peu à l’écart, pour bénéficier d’une vision plus large. Se partageant visuellement la cour, ils se regardent régulièrement l’un l’autre, et communiquent du regard. Tel élève semble-t-il régulièrement en retrait ? En ce cas, on noue le dialogue. Des inimitiés commencent ? On intervient pour désamorcer le conflit, donner des mots à la place des maux. Concernant les vestiaires et salle de sport, un échange s’instaure avec la mairie, responsable de ces bâtiments. Un réaménagement de la salle d’étude est organisé : les couloirs entre les rangées de tables sont élargis, de telle sorte que l’assistant d’éducation présent puisse se déplacer facilement auprès de l’élève, assurant proximité et confidentialité du dialogue. Chacun peut aussi circuler sans buter la table, la trousse ou le cartable du voisin. Pour aller plus loin, le principal adjoint propose la création de deux petites salles de travail annexes, vitrées, ouvertes à quatre élèves maximum, qui souhaitent travailler et discuter librement autour d’une grande table, sans gêner les autres. C’est l’idéal pour les exposés de groupe ou les travaux collaboratifs. On s’inscrit en amont et on récupère la clef auprès de la vie scolaire. On travaille ensuite en autonomie. D’ailleurs, ces deux salles sont régulièrement prises d’assaut ! Petit à petit, au fil des mois, on redéfinit, modestement mais consciemment, les espaces.
Après les résultats de l’enquête, l’un des champs investi concerne la sensibilisation au respect du corps et à la tolérance. Un tiers des collégiens estime avoir déjà été tenu à l’écart d’un groupe, du fait de son apparence physique ou de ses vêtements (voir ci-dessous). Animé par l’infirmière scolaire et la conseillère principale d’éducation auprès des élèves de quatrième, l’atelier “Estime de soi” se compose de deux séances de deux heures, en classe entière. Installés en demi-cercle, les élèves écoutent les consignes initiales : on s’écoute, on se respecte, on ne se moque pas, on a le droit de se tromper, on a le droit de ne pas savoir. La première étape du travail introspectif commence par une question : “Par quel prénom ou surnom aimerais-je que l’on m’appelle ? “Chacun inscrit son souhait sur un miroir, double de soi-même, et le montre au groupe. Ensuite, il s’agit de se définir en portrait chinois : “Si j’étais un lieu, un animal, un objet, un personnage” sur une ardoise effaçable au fil de la réflexion. Puis, on se métamorphose en un sentiment?: lequel ? Au bout de vingt minutes de cette présentation personnelle, c’est le moment de la description par l’autre : “Tu es…, tu as…, tu peux… tu sais…”. Définir les qualités de son voisin n’est pas une mince affaire, mais tous, y compris les adultes pour donner l’exemple, se mettent en situation. Rédigés sur feuilles de format A4, les portraits mettent en lumière les capacités de son partenaire : “Tu es compréhensif, tu as une bonne forme physique, tu sais écouter les autres”. L’ensemble des qualificatifs est relié par des adhésifs, telle une guirlande, et celle-ci est accrochée au tableau, devant la classe. À l’issue de l’activité, chaque élève se découvre à travers une kyrielle de qualités, physiques ou morales (voir annexe). L’infirmière et la CPE, en partenariat avec l’enseignant, garantissent la liberté de parole et la qualité d’écoute en rappelant, au besoin, les consignes du départ. Du terme de “guirlande”, vers son cousin étymologique “enguirlander”, elles rappellent qu’il n’y a qu’un préfixe, un basculement de regard : “Tu es étrange”, péjoratif et excluant, peut devenir “Tu as des idées originales” (comme indiqué sur la guirlande), positivement connoté. Cette réflexion sur les mots en amène une autre sur les différences des uns et des autres. Enfin, sur une dernière feuille, les élèves inscrivent et entourent leur prénom de dix qualités, parmi un large panel proposé sur des étiquettes. Une élève ose ainsi s’approprier des adjectifs valorisants : sensible, patiente, originale, généreuse, adroite… Affichées dans le hall du collège, les productions participent à l’estime de soi.
En prolongement de l’atelier “Estime de soi”, une formation à la vie affective et à la prévention des conduites sexistes est coanimée par C. Leclaire, enseignante de SVT, l’infirmière et l’assistante sociale du collège, ainsi que par une sage-femme du centre hospitalier de Cholet. Durant trois heures, garçons et filles, séparés, réfléchissent au respect de leur corps et de celui de l’autre. Chaque groupe de collégiens est successivement encadré par deux adultes, interlocuteurs multiples pour répondre aux questions des adolescents. Le premier atelier d’une heure a pour objectif de réfléchir au sens des relations amoureuses, et de lister les moyens de contraception. Les élèves sont disposés en cercle, sans table, de façon à faciliter le regard et la communication entre tous. Le second atelier, de même durée, se présente sous forme ludique. Un élève tire une carte et lit la question au groupe : “D’accord ? Pas d’accord ?”. Les thèmes principaux concernent le respect, la différence, la puberté, l’identité sexuelle… Les adultes sont là pour rappeler les consignes d’écoute, de tolérance vis-à-vis des propos de chacun. Ensuite, l’enseignante énonce plusieurs scénarii possibles, à jouer en saynètes, par groupe de trois élèves, sous forme d’improvisation : “Votre petit ami vous suggère une relation amoureuse dont vous n’avez pas envie…”. En fin de séance, les élèves expriment par écrit, de façon anonyme, leur ressenti et ce qu’ils ont appris. Pour les garçons, “Il ne faut pas faire n’importe quoi avec les relations, il faut être prêt mentalement et physiquement”. Pour les filles, “Il faut se respecter et l’on peut prendre son temps”. Des deux côtés, on a pris le temps de s’exprimer librement et de réfléchir.
“Se parler sans s’agresser”, tel est l’objectif majeur de toute l’équipe. Selon Virginie Halbert, CPE, il faut réussir à verbaliser, plutôt que s’exprimer par des gestes violents. La verbalisation, la mise en mots, permet souvent la libération d’un mal-être, lorsque celui-ci peut être exprimé, entendu, écouté. C’est l’un des enjeux de la médiation par les pairs : “La médiation est un processus qui permet, lors d’un conflit, l’intervention de personnes extérieures, formées pour dépasser le rapport de force et trouver une solution sans perdant ni gagnant” 1. Une formation Agir pour le climat scolaire, menée par l’Aoreven, est proposée, dans un premier temps aux adultes volontaires de la communauté éducative puis, dans un second temps, aux élèves. Il s’agit de former des adultes référents pour que ceux-ci accompagnent ensuite le dispositif et les élèves médiateurs. Fédérer jeunes et adultes autour d’un projet commun, tel est l’un des objectifs. Cette action, reconnue par le ministère de l’Éducation nationale, s’adresse aux collèges et lycées qui souhaitent instaurer la parole comme mode alternatif de résolution des conflits mineurs (bousculade, gestes déplacés, insultes…). C’est aussi l’apprentissage de la citoyenneté, du dialogue respectueux en société. Lorsque vient le tour des élèves volontaires, on leur propose la rédaction d’une lettre de motivation pour argumenter leur candidature, tant les postulants sont nombreux ! “Je souhaite être médiateur, car je veux être utile aux autres, responsable”. S’ensuit un entretien oral de quinze minutes devant les deux des dix-sept adultes préalablement formés à l’échange. Les heureux élus bénéficient ainsi d’une formation de deux jours, avec jeux de rôle autour des discriminations, des préjugés, et visant la formulation langagière non violente. “On donne des outils de communication non violente aux adolescents pour obtenir un effet boomerang auprès de leurs pairs.”
Au collège, un local a été spécifiquement alloué à cet usage : la salle de médiation. Durant leurs heures de formation, les élèves volontaires médiateurs ont été invités à créer des affiches illustrées et une charte décrivant les règles de fonctionnement de ces médiations. Ainsi, en guise de préambule, sur la porte de la salle de médiation, plusieurs affiches d’élèves rappellent les règles fixées : “Sans perdant ni gagnant, confidentialité, neutralité, compréhension, solution, clefs de la médiation…”. Avec les adultes engagés dans le projet, on a défini et réfléchi au sens de ces mots. D’autres affiches illustrent aussi la salle. La recette du sourire et de l’écoute (voir ci-contre), concoctée par les adultes formés à la médiation (enseignants, agents de service, assistants d’éducation…) établit avec humour les ingrédients d’une médiation réussie, avec respect et convivialité. Quant à elle, la charte des élèves stipule les points suivants : le médiateur respecte le secret de ce qui est dit en médiation, il ne prend pas partie pour l’un ou l’autre des élèves, il permet, à partir du dialogue, de trouver une solution. Concrètement, voici le principe. Après un conflit, on propose une médiation aux collégiens en opposition. Ceux-ci s’inscrivent alors sur le planning des permanences des médiations de la semaine, déposé à la vie scolaire. Les créneaux proposés sont ceux des temps de récréations. La date de médiation et le nom des élèves en conflit sont alors diffusés par courriel aux médiateurs du jour concerné. En effet, chaque médiateur, (élève ou adulte) s’engage à assurer au moins un jour de permanence par semaine, pour garantir un suivi et une répartition équitable. Le jour venu, c’est l’élève médiateur qui va conduire l’échange, en suivant la fiche-protocole (voir annexe). “Nous allons vous écouter l’un après l’autre, essayer de comprendre votre problème, et vous allez essayer de trouver une solution. Qu’est-ce qui s’est passé ? Quels sont les faits ? Qu’as-tu ressenti ? Et maintenant ? Qu’es-tu prêt à faire pour que cela s’arrange ?”. Souvent, les élèves en conflit proposent des excuses, on se serre la main et cela suffit à éteindre le sentiment d’agressivité. L’adulte référent est présent pour rappeler le cadre de la médiation, mais il reste toujours en dehors de la salle, afin de ne pas influencer les débats. Une fois par trimestre, élèves et adultes médiateurs se retrouvent lors d’une réunion pour analyser les résultats et les éventuelles difficultés rencontrées. Sur quatorze médiations l’an passé, aucune altercation ne s’est reproduite entre les médiés, et une seule fois l’adulte a été sollicité.
Consécutivement à cette formation de médiateurs, Thomas Gilbert souhaite prolonger la réflexion des uns et des autres par la lecture d’ouvrages dédiés au sujet. Via le CDI (Centre de documentation et d’information) et l’ENT (Espace numérique de travail), il constitue un fonds documentaire 2, à destination des enseignants, sur la gestion des conflits dans la classe, la réussite des élèves à besoins particuliers, etc. Il met à profit le porte-document de l’ENT pour diffuser et stocker des documents-outils réalisés sous forme de fiches-actions : gestion des incidents en classe, “les dix variables influant l’obéissance de l’élève” (Édige Royer 3, universitaire québécois). Selon le principal adjoint, il faut développer la capacité à gérer les conflits pour améliorer le climat de classe. En instaurant un climat de bien-être, on contribue aussi à faciliter les apprentissages des élèves. Les enseignants, sensibilisés à ces questions, essaient de pratiquer l’écoute active : donner à l’élève tout le temps nécessaire pour qu’il puisse donner sa version des faits, utiliser des reformulations, le regarder pour lui indiquer qu’il est écouté, l’appeler par son prénom lors d’une requête individualisée… Un kit est proposé au professeur principal afin qu’il puisse animer des heures de vie de classe sur des thèmes liés à la violence : comment aborder le thème de la violence, discuter autour d’une histoire, différencier la Loi de la loi du silence ? À cet égard, l’exposition “Question de Justice : 13/18” est prêtée pour deux semaines au collège. Elle est visitée par les enseignants d’histoire-géographie et éducation civique avec leur classe, avant l’intervention ponctuelle de deux heures, coanimée par une éducatrice de la Prévention judiciaire de la jeunesse et les éducateurs de la Prévention spécialisée présents sur le quartier. Les élèves sélectionnent des questions de droit lors de la visite de l’exposition. Ils essaient ensuite, avec l’aide de l’éducatrice PJJ et des enseignants, de trouver des réponses dans le Livre de la Loi, mini-code pénal, sous forme de gros livre rouge relié. La réponse de droit, trouvée ou non, est ensuite le point de départ d’échanges et d’apports notionnels, d’interrogations de la part des adultes auprès des jeunes sur leur positionnement ou les choix qu’ils feraient dans les situations évoquées. C’est aussi l’occasion d’entretiens individuels, pour les élèves qui le souhaitent, à l’issue de l’activité.
En français, la professeure, Anne Ouvrard, souhaite donner une place majeure aux thématiques du harcèlement scolaire et de l’estime de soi, quel que soit le niveau des classes. Au fil des lectures du fonds documentaire et des discussions avec les collègues investis dans le CESC, elle dégage les points de rencontres envisageables entre cette priorité de l’établissement, les compétences du socle et le programme de français. Pour la première séance, il s’agit d’identifier les protagonistes d’une situation de harcèlement, à partir de répliques littéraires (voir annexe). Trois objectifs sont visés : travailler sur l’intention et l’adresse dans la lecture à voix haute, développer l’empathie, comprendre l’intérêt du respect mutuel en acceptant les différences. Que se passe-t-il quand une parole vous est personnellement adressée ? Pour faire réfléchir la classe à cet axe, Anne Ouvrard installe la moitié des élèves en demi-cercle, en posture de repli : assis au sol, genoux remontés, yeux fermés pour se concentrer sur la réplique qui va leur être soufflée. Les autres élèves viennent chuchoter à l’oreille d’un camarade une phrase qui leur a été confiée (répliques d’intimidateurs ou de victimes) : “Toute la classe savait et personne n’a rien dit”, par exemple, ou “Elle devait avoir honte de s’afficher avec moi…” La ponctuation (exclamative, suspensive…), les types de phrase et les intonations, en accord avec le regard, sont répétées plusieurs fois, avec l’aide de l’enseignante, pour s’identifier le plus possible à la situation imaginée. Alors s’ensuit un temps d’expression libre sur les émotions ressenties : colère, anxiété, étonnement, empathie, pitié… Les phrases sélectionnées par l’enseignante sont extraites de plusieurs romans destinés au public adolescent (voir annexe). Ces répliques, courts extraits, ont semblé une porte d’entrée intéressante pour susciter l’envie d’en savoir plus sur l’histoire, et de lire l’ouvrage dans sa totalité. Pour autant, se contenter de recommander des romans pour la jeunesse ne suffit pas pour que les élèves les plus éloignés des livres s’y attellent. Or, ceux-ci ont un réel besoin de ce passage initiatique afin d’accéder ensuite à la lecture d’œuvres classiques. Aussi, pour permettre à chaque élève de devenir, chez lui, un lecteur autonome, le collège a-t-il acheté de six à douze exemplaires des ouvrages retenus. Chacun aborde les problématiques du climat scolaire, du harcèlement, des rumeurs, de la différence, des réseaux sociaux et de l’estime de soi. Le CDI et les médiathèques alentours ont également complété ce fonds. Chaque élève s’engage, sur la séquence, à parcourir au moins un roman, de longueur et de niveau de difficulté variés.
Lors d’une autre séance autour des outils de la langue (liens logiques), l’enseignante amène ses élèves à réfléchir aux causes et conséquences possibles du harcèlement à l’école. À partir du livre lu à la maison, les élèves doivent alors rédiger une quatrième de couverture en employant au moins deux propositions subordonnées circonstancielles de cause, et deux propositions subordonnées circonstancielles de conséquence. Les écrits sont ensuite coévalués par les élèves ayant lu le même roman : le synopsis est-il clair, attractif, comprend-on la source du conflit, en perçoit-on le dénouement possible ? Puis, à l’oral, un rapporteur des lecteurs d’un même roman présente les conséquences du harcèlement, de l’intimidation, de la rumeur, de la crainte du jugement sur la vie du personnage principal. De la fiction à la réalité, il n’y a qu’un pas, et les collégiens établissent le parallèle entre la situation romanesque et celle des potentielles victimes d’intimidation au collège. Lorsque l’on recueille le témoignage de l’enseignante, à la fin de cette séquence, certes, toutes les difficultés relationnelles entre les élèves ne se sont pas effacées… Il n’y a pas eu de changement miraculeux d’ambiance dans les classes ! Ceci dit, du fait de la synergie des actions autour du projet initié par le CESC, on peut constater qu’une partie des élèves dispose peu à peu d’un meilleur bagage pour analyser les petits conflits. Le vocabulaire mobilisé pour raconter est plus précis. L’amélioration du lexique des émotions tend également à les inciter à verbaliser leurs besoins. Les collégiens ainsi sensibilisés savent identifier les sources et situations de harcèlement, connaissent la gravité de celles-ci et, le cas échéant, savent qui alerter.
Pour la CPE, il n’existe effectivement pas de clivage entre les disciplines scolaires et le contexte des incivilités : échanger des pratiques au-delà de sa discipline, c’est permettre de décloisonner les sources conflictuelles et essayer de trouver des solutions communes. Pour elle, la force de ce projet tient à la multiplicité des acteurs endogènes et exogènes engagés vers un même objectif. Au sein du collège, le projet a pu s’appuyer sur un noyau d’enseignants habitués à pratiquer la pédagogie différenciée pour un public scolaire très hétérogène. Il s’est développé en lien avec les élèves, bien sûr, mais aussi les parents, divers personnels de l’établissement, et un fort réseau de partenaires professionnels. À cet égard, le pôle de développement social de la ville de Cholet a instauré, à destination des quartiers en Zone urbaine sensible, une réunion mensuelle qui réunit tous les acteurs du territoire : actualités, groupes de travail à thème (aide à la parentalité, aide à la scolarisation, accueils de loisirs pour enfants…). Les échanges informels entre professionnels ainsi que les partenariats y sont facilités. Ainsi, les éducateurs de prévention (ASEA prévention 49), le centre socioculturel du quartier, k’léïdoscope, l’AFODIL (cours d’alphabétisation pour les étrangers immigrants), les traducteurs de CADA, les éducateurs de la PJJ, les membres de l’aide sociale à l’enfance et à l’adolescence (ASEA), sont devenus des partenaires incontournables de l’action du collège.
Les éducateurs de prévention viennent de manière informelle au collège rencontrer l’équipe de direction ou la CPE. C’est l’occasion d’un échange sur des situations individuelles, dans une démarche de veille, et pour répondre aux mieux aux besoins des élèves et de leur famille. Ces rencontres donnent parfois lieu à des accompagnements de parcours individualisés par les éducateurs de prévention pour prévenir des conduites à risques chez certains adolescents. Durant les vacances scolaires, à l’école ouverte, les animateurs de la fédération française de Kinball sont intervenus, en lien avec les enseignants d’EPS, pour présenter ce jeu collaboratif. À chaque session, des équipes de trois élèves ont appris à jouer de pair, bras levés et réunis autour de ce drôle de ballon d’un mètre vingt-deux de diamètre, à déplacer en hauteur. Pour lancer une attaque et gagner le point, les trois joueurs doivent tenir en même temps le ballon : on ne réussit donc qu’ensemble, et non de manière individuelle…
Quels constats aujourd’hui ? En l’attente d’un prochain questionnaire-bilan en cours d’élaboration, voici déjà quelques indicateurs récoltés. Pour l’accueil à l’infirmerie en 2011-2012, cent soixante-quinze entretiens de relation d’aide ont été sollicités. En 2013-2014, après le lancement du projet, cent vingt entretiens sont comptabilisés. Par ailleurs, on note une baisse de quinze pour cent des situations de mal-être signalées à l’infirmerie. En 2011-2012, aucun enseignant n’abordait explicitement les phénomènes d’intimidation pendant les cours. En 2013-2014, cinq enseignants les intègrent de manière régulière en menant des actions dans la durée. Concernant la pédagogie, des pratiques donnant plus de place à l’autonomie de l’élève (travail en groupes, autoévaluations…) ont été favorisées. Toutefois, l’implication reste inégale et semble parfois soumise à l’appréhension d’une certaine perte d’autorité, au sein de la classe. Quoi qu’il en soit, le projet a permis de réfléchir aux notions du bien-être en classe, de la bienveillance, de la sécurisation, au changement de regard entre pairs. Quatorze enseignants volontaires ont été formés à la médiation. On observe également une diminution de l’absentéisme scolaire. Parallèlement, le nombre de participants aux réunions du CESC a triplé (de dix personnes en septembre 2011 à trente-six personnes en septembre 2013), traduisant un intérêt autour du projet de climat scolaire. Du côté des élèves, la participation aux activités extra ou périscolaires proposées par le collège (accompagnement éducatif, école ouverte) s’est accrue. Lauréat d’une subvention de la part de la Fondation de France, ce plan d’action innovant a également reçu le soutien de la Délégation ministérielle pour la prévention et la lutte contre les violences à l’école. Bien entendu, tout cela reste fragile et l’équipe souhaite aller plus loin en sollicitant une formation de bassin à la gestion des conflits. Les enseignants, parfois démunis, souhaiteraient un meilleur accompagnement en termes d’analyse de pratique, pour répondre à leurs questionnements et difficultés au sein de la classe. Thomas Gilbert envisage également la création d’un conseil de la vie collégienne, afin de rendre les élèves encore plus investis dans la vie de l’établissement, acteurs citoyens au cœur du projet : “Bien-être, Être bien à l’école”.
1. Définition de l’Aroéven (Association régionale des œuvres éducatives et de vacances de l’Éducation nationale), brochure disponible “La médiation par les pairs”.
2. Quelques éléments du fonds documentaire : Harcèlements à l’école, de Nicole CATHELINE. Albin Michel, 2008. Gérer les conflits au collège et au lycée, de Laurent LE BARS. Vers des centres de connaissances et de culture, ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative – collection Vademecum, mai 2012. Aider les élèves en difficulté, de Sandrine MAURY. La sanction en éducation, de Eirick PRAIRAT. PUF, Que sais-je ?, 5e édition 2011. Les dix commandements contre la violence à l’école, de Éric DEBARDIEUX, Odile Jacob, 2008.
3. Travaux d’Égide ROYER : Égide Royer a fondé, en 1994, le Comité québécois pour les jeunes en difficulté de comportement (CQJDC), et a été le représentant canadien au comité exécutif du Council for Children with Behavior Disorders (CCBD, États-Unis) de 1996 à 1998.
C. Lacôte-Coquereau
contributeur(s) :T. Gilbert, V. Halbert, A. Ouvrad, Collège Joachim-du-Bellay, Cholet [49]
information(s) technique(s) : pdf
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observer, positionner, diagnostiquer | 29/09/2011 | |
Par définition, le diagnostic médical, technique est le raisonnement menant à l'identification de la cause d'une défaillance, à partir de symptômes relevés par des observations, des contrôle ... | ||
diagnostic, observation, positionnement, évaluation, personnalisation, état des lieux |
innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes