En juin 2010, plusieurs enseignants du collège Olympe-de-Gouges de Sainte-Pazanne préparent, comme dans tous les établissements, le projet HdA (histoire des arts), et se focalisent sur le niveau troisième pour répondre à l'exigence de l'épreuve du DNB. Les disciplines représentées sont, en plus de celles obligatoires (histoire géographie et éducation artistique), le français, l'anglais et l'espagnol. Rapidement, l'idée de travailler sur une thématique commune émerge des discussions, et la phrase "Je rêvais d'un autre monde..." emporte l'adhésion. Les enseignants d'histoire géographie sont sans doute les plus satisfaits par les déploiements possibles : les utopies, les rêves d'indépendance, les guerres qui sont souvent la conséquence des rêves de certains. Afin de mieux (dé)limiter le travail de chacun tout en proposant aux élèves un ensemble d'œuvres suffisamment riche, le choix est arrêté de constituer des binômes de professeurs.
Mise en place
Chaque binôme en charge de deux disciplines prépare une séquence disciplinaire (
voir annexe) dans laquelle deux œuvres communes au moins sont étudiées. Celles-ci sont choisies en lien avec des sous-thèmes définis pour parcourir les développements possibles de la phrase titre. Ce qui donne la répartition suivante : "la poésie engagée" (éducation musicale et français), "l'œuvre de Frida Khalo" (éducation musicale, espagnol, art plastique), "musique et guerre" (éducation musicale, histoire), "la place de la femme dans l'après-guerre" (histoire, anglais), "images, histoire et paix" (art plastique, histoire) et enfin, "entre rêve et réalité" (art plastique, français). Le principe voulu par l'équipe est de croiser au moins deux regards "disciplinaires" sur les mêmes œuvres (
voir annexe). Elles sont donc l'objet, en classe, d'un travail d'explicitation et d'analyse. Le duo, ou plus, d'œuvres présentées dans le cadre de deux disciplines a ses raisons d'être : faire réfléchir les élèves à ce qui les relie fait aussi partie du travail prévu par les professeurs. Et pour prolonger cette réflexion, lorsqu'au printemps, les élèves ont à préparer leur épreuve orale, ils doivent choisir de présenter l'une des associations proposées dans le cours de l'année, avec pour objectif annoncé de faire apparaître ce qui peut faire lien entre les œuvres.
Entre rêve et réalité...
L'ensemble des études va permettre de parcourir différents domaines du programme : arts visuels, arts du langage, arts de l'espace, mais le plus important est certainement le choix des professeurs de nourrir tout au long de l'année la réflexion des élèves autour d'un thème porteur. Il s'agit de les mettre, à de nombreuses reprises, dans une posture d'observation et de questionnement, et de leur donner ensuite l'occasion de s'exprimer individuellement sur ce qu'ils ont appris et compris. Sans omettre l'aspect de l'analyse technique d'une œuvre, aspect souvent délaissé par les élèves lors de l'épreuve malgré une analyse précise effectuée dans les cours de disciplines artistiques ; car entre ce que l'on souhaite et ce qui se réalise, il y a un écart et une déception aussi, parfois. Lors de l'épreuve, des dérives du projet mis en place apparaissent. Certains élèves ont "bachoté" leur présentation ; parfois lisant leurs notes, ou ne sortant pas des savoirs apportés par les professeurs ; d'autres ont cherché sur internet ce qu'ils pourraient dire et présentent oralement une sorte de copier/coller d'un article encyclopédique quelquefois hors sujet. Il y a aussi ceux qui n'ont pas perçu le sens du titre du projet "Je rêvais d'un autre monde" et qui se sont focalisés sur une seule partie de la phrase "Je rêvais"... Sans compter, bien sûr, les quelques-uns qui viennent sans objectif bien défini. Alors malgré un certain nombre de présentations intéressantes, l'équipe est un peu dépitée et il semble nécessaire de faire le point.
Petite anthologie des points d'accroche...
Échanger a pu rencontrer deux des enseignants de l'équipe qui se sont prêtés à une petite séance d'introspection. Qu'est-ce qui, dans ce projet d'équipe, n'a pas été opérationnel ? Pourquoi le résultat attendu n'est-il pas là ? Tout au long de l'année, les échanges entre les collègues ont permis d'entrevoir un certain nombre de problèmes. Dans l'ordre chronologique de la mise en place, c'est sans doute sur le choix des œuvres qu'il faudrait réfléchir. Il est important que celle que l'on présente soit portée par le professeur et qu'il l'ait choisie dans son "musée" personnel. Pour autant, le sens de ce choix doit être expliqué au sein même du binôme constitué, et auprès de l'équipe par rapport à la thématique de l'année. Le fait de choisir une thématique a, par ailleurs, convenu à cinq enseignants sur les sept concernés, car elle apportait du sens au travail mené, mais deux ont trouvé cela réducteur et sclérosant. En effet, il est parfois difficile de poser, d'intégrer un postulat - une thématique - dans le cadre des séquences de cours et d'éviter le placage, c'est-à-dire d'extirper quelques aspects propres à une œuvre pour la faire rentrer dans le cadre imposé. Le risque étant que le professeur se retrouve à faire un cours d'histoire de l'art, situation incompatible avec l'esprit de l'HdA. En fait, le sens donné à chaque association devrait sans doute être plus clairement énoncé au sein de l'équipe et davantage transmis au travers des activités avec les élèves. Il est donc indispensable pour cela d'avoir un temps institutionnel de concertation où la mise en commun des préparations de chacun permettrait d'expliciter et de s'accorder sur les choix réalisés. La passation des épreuves serait également facilitée par la mise en place de journées banalisées. Certes, cette épreuve, contrairement aux autres examens, dispose d'un cadrage national volontairement ouvert, mais cela ne rend pas la tâche toujours facile, même si la circulaire ministérielle et le document du rectorat apportent des précisions.
Accorder les violons...
Lors de l'épreuve, plusieurs élèves ont fait une présentation sans aucune mise en contexte. La volonté de présenter (auteur, titre, date), de décrire ce que l'on voit, a été plutôt comprise, mais ensuite, celle de relier les œuvres à une période historique, à un courant artistique ou à un phénomène social, a été souvent omise. Alors la question que s'est posée l'équipe dès la rentrée, mais qui est restée sans réponse collective, est revenue en force : s'accorder sur un thème peut-il suffire ? Est-il possible de travailler ensemble, de se mettre d'accord sur des attendus (connaissances) et sur une ou des méthodologies ? La question des compétences n'a pas été réellement posée, car ce domaine touche à une question de fond liée à l'évaluation qui a été traitée, elle, en termes de savoir-être (prestation orale) et savoir-faire (présentation, description, analyse). Faire autrement aurait encore nécessité des temps supplémentaires de concertation. Alors, est-il envisageable de bâtir un projet commun sans aborder le contenu des heures de cours, les méthodes utilisées ? Par exemple, à partir de photographies, l'enseignant d'histoire a utilisé une approche récurrente : la comparaison. Celles des techniques utilisées (là, argentique et numérique), celle du contexte (deux guerres différentes) et enfin, la place du réel et de l'irréel dans l'œuvre. S'interroger sur la méthodologie pour aborder un enseignement quel qu'il soit amène évidemment à se poser la question de ce que doivent savoir les élèves. Présenter, décrire et mettre en contexte... L'accord n'était pas unanime. Pour certains, l'acquisition d'une certaine érudition doit précéder la capacité d'analyse quand, pour d'autres, c'est un ensemble de savoir-faire qui doit s'acquérir progressivement, mais de concert. Et puisque l'équipe accepte de s'interroger ainsi, comment s'y prendre pour construire quelque chose de cohérent et d'efficace dans le respect des pratiques de chacun ? On le voit, l'enseignement de l'histoire des arts ne peut pas s'élaborer seulement autour des connaissances à faire partager aux élèves ; la question du sens des apprentissages se pose, tant pour la rencontre avec les œuvres choisies que pour la façon de mettre les élèves en situation de découverte, d'appropriation et d'analyse.
Analyser, échanger, proposer...
La dominante transversale de ce nouvel enseignement de l'histoire des arts est une difficulté supplémentaire à sa mise en place. C'est aussi un de ses atouts. Trop souvent seul pour créer, pratiquer et évaluer ses pratiques, le professeur n'arrive pas toujours à percevoir ce qu'il faut faire évoluer. Les nombreux échanges qui ont animé l'équipe du collège Olympe-de-Gouges ont permis de définir des améliorations réalisables dès l'année suivante. Ainsi, la thématique énoncée par une phrase titre sera mieux intégrée au projet, de sorte que les élèves ne puissent pas la réduire à une seule portion. Elle sera utilisée, expliquée, reliée aux différentes séances, et les élèves seront invités à verbaliser les liens compris. Pour leur présentation orale, les élèves devront toujours expliquer les deux œuvres retenues en passant par la technique de la comparaison et/ou de mise en parallèle - la comparaison étant parfois périlleuse
1. Pour les inciter à transférer les compétences acquises (observer, analyser, relier) durant l'année, il leur sera demandé de présenter une autre œuvre de leur choix; présentation qui devra mettre en évidence la pertinence de ce choix par rapport à la thématique. Bien sûr, les professeurs envisagent de poursuivre leur réflexion commune sur le dispositif. Ainsi, il pourrait être plus judicieux que les élèves se préparent pour l'épreuve sur l'ensemble du travail réalisé dans l'année, et non plus sur deux œuvres associées, et chaque candidat en tirerait plutôt au sort en arrivant devant le jury, avec une vingtaine de minutes pour préparer son intervention. Les échanges se poursuivent, les interrogations évoluent, mais restent quand même les deux points qui questionnent les pratiques des uns et des autres : la thématique est-elle si primordiale ? N'est-il pas plus essentiel d'avoir une méthodologie commune ? Les enseignants souhaitent faire évoluer leurs pratiques collectivement, et espèrent que temps de concertation et temps de formation viendront les y aider.
1. Comment comparer le tableau Guernica, de P. Picasso, à la musique de Thrènes à la mémoire des victimes d'Hiroshima, Krysztof Penderecki (1933).