On le sait, notre système éducatif français est le reflet des principes éducatifs républicains et égalitaires. De ce fait, les enseignants ont développé des habitus comme celui de s'adresser plutôt à une classe entière et de gérer la classe d'un point de vue majoritairement égalitaire. Mais comment, dans ces circonstances, prendre en compte ces élèves en difficulté, ceux qui décrochent et ce, quelquefois dès l'école élémentaire ? L'individualisation et la personnalisation des démarches répondent à ce besoin. Ceci va de pair avec une évaluation fondée sur des compétences bien précisées. Mais une fois le diagnostic posé, il reste à le faire partager à l'élève et à y associer sa famille. C'est dans cette logique que s'inscrit donc la mise en place des programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE). Ce dispositif, mis en place depuis 2006, vise à résoudre des difficultés ponctuelles, et à éviter, si possible, un redoublement. En revanche, il s'avère indispensable si l'élève est redoublant. Il se définit comme un accompagnement pédagogique et éducatif dans lequel l'entretien individuel prend toute sa place. Même si ce groupe départemental n'a pas souhaité faire de l'entretien avec l'élève une panacée, il a voulu aider les enseignants à se doter d'une culture professionnelle en ce domaine-là aussi. En particulier ceux qui prennent en charge la classe dans son intégralité.
Un entretien, ça se prépare, et en équipe
Dans le cadre qui nous intéresse, le conseil des maîtres décide, à la suite d'évaluations, l'évaluation nationale en CE1, par exemple, de mettre en place pour tel ou tel élève un PPRE. Encore reste-t-il à impliquer le jeune dans cette démarche. Celui-ci peut en effet occulter, dans une forme de déni, le diagnostic posé qui repose, le plus souvent, sur une contre-performance. Autre posture, il peut se décourager. Le risque est alors grand que ce jeune s'ancre, de manière précoce, dans une attitude de décrochage. C'est dire l'importance d'un entretien individuel et individualisé. Pourtant, mener un entretien, ce n'est pas tenir une conversation. Comme tout geste professionnel, il s'élabore. Tout d'abord, en formation, on apprend à surseoir à l'action. On commence donc, en équipe, à définir ensemble et, si possible par écrit, la signification et l'objet de cette entrevue. Que veut-on dire ? Dans quel but ? Que veut-on savoir ? Il s'agit de cerner le domaine prioritaire que l'on veut expliciter. S'agira-t-il de travailler le rapport de l'élève à l'école, à son travail scolaire ? Est-il essentiel de revenir sur des évaluations nationales ? Dans quel domaine ? mathématiques, français ou compétences transversales ? Faut-il plutôt parler projet et stratégies à mettre en place ?
Place à la précision
C'est en cernant le domaine de l'entretien que l'on pourra déterminer la personne qui sera le mieux à même de conduire cet entretien : l'enseignant de l'élève sera-t-il seul ou assisté d'un autre adulte ? Qui ? Le directeur, un membre du réseau d'aide ? Bref, il s'agit, à chaque fois et pour chaque élève, de mettre au point la meilleure stratégie au service des objectifs retenus. Du cousu main en quelque sorte ! Tous ces éléments figureront dans un dossier nominatif qui sera communicable pour assurer le suivi d'une classe à l'autre : on y rassemble tous les éléments qui peuvent clarifier la situation à traiter, les compétences acquises et les besoins repérés. On y mentionne aussi les questions à poser. C'est aussi dans ce dossier que figureront les transcriptions des questions posées et des réponses apportées. Dans ce dossier, seront notés, au fur et à mesure, les décisions prises, les contrats établis, et leur durée. On insiste, en effet, sur la nécessité de se montrer précis et objectif dans cette phase. Il s'agit de prendre en compte ce qui est dit et de se mettre à l'abri de toute forme d'interprétation. Exactitude, donc !
Le cadre, ça compte !
Ensuite, vient le temps de préparer l'organisation matérielle de la rencontre. Il s'agit de trouver un cadre capable de servir les objectifs de l'entretien. Trop souvent, dans l'enseignement particulièrement, on tend à réduire la communication à sa seule composante verbale. Or, chacun connaît pourtant les incidences du langage non-verbal. À cet effet, il est très important de bien cadrer et le temps et le lieu de cet entretien afin que ces éléments matériels n'entrent pas en contradiction avec le sens recherché. Veut-on lui donner un caractère officiel et choisir de s'installer dans le bureau du directeur ou se situer dans une perspective plus clairement pédagogique, voire confidentielle et, dans ce cas, s'installer dans un espace dédié à cette fonction dans une salle de cours ou dans un parloir ? Dans tous les cas, il est important de veiller à être dans un endroit où l'on ne sera pas dérangé. Il est important de penser, par exemple, à un détail apparemment anodin comme celui qui consiste à apposer la pancarte qui signalera l'occupation du lieu, à l'entrée de la bibliothèque d'école ou du bureau du directeur si tel est le lieu retenu.
Une attitude sous contrôle
Si le choix des lieux est chargé de valeurs symboliques, les corps et les attitudes sont aussi des langages. C'est ainsi qu'il convient de décider par avance de se mettre ou non autour d'une table. Si l'entretien a pour objet de rappeler les enjeux réglementaires de l'école, il peut être plus probant de jouer une mise en scène plus hiérarchique en se plaçant de part et d'autre d'un bureau. On peut aussi choisir d'être côte à côte. Bien sûr, on s'assurera aussi que le téléphone ne viendra pas interrompre ce dialogue, ne serait-ce que pour ne pas démentir l'importance accordée à ce moment. La spécificité de ce temps - pourquoi ne pas oser le terme sacralisation ? - se pense aussi en amont à travers le mode de convocation. Des mots seront posés pour préciser le motif et l'objectif de cet entretien. La phase de dialogue préparatoire permettra aussi de choisir le moment de la semaine et de la journée où chacun des partenaires se trouvera dans les meilleures conditions. Toujours dans une logique de réussite, il convient d'agir avec une attitude qui montre à la fois professionnalisme, respect de l'autre et contrôle de soi. C'est ainsi que la formation incite au choix d'un geste d'accueil adéquat : plus distant ou plus léger, il n'y a pas de recette, mais un choix préalable.
De la reformulation
Enfin l'entretien peut commencer. Après le rituel d'accueil, le responsable de ce temps se doit de fournir les éléments d'information qu'il possède et de resituer clairement l'objet de l'entretien. "Aujourd'hui, nous avons souhaité vous (te) rencontrer pour...". "Aujourd'hui, il s'agit de revenir sur tes évaluations. La règle est de se montrer clair, précis et de viser un maximum d'objectivité." Chacun le sait, des difficultés d'apprentissage ou de comportement peuvent refaire surgir des émotions enfouies chez l'enfant comme chez l'adulte. Il convient donc de rester sur des formulations directes, ni négatives, ni agressives. Étape par étape, les questions seront posées et reformulées pour montrer que l'on avance progressivement vers une solution ou des décisions. Dans le cadre des PPRE, il apparaît important de revenir sur les ressentis de l'élève à propos des évaluations. On commence en effet par mettre en évidence les points positifs aussi bien en termes de connaissances que de compétences. Dans une seconde phase, on peut lui donner des informations sur les perspectives d'aide avant de chercher des éléments plus personnels qui permettront d'accroître leur efficacité. Il convient, en effet, de s'assurer que le cheminement se fait bien en parallèle et en tenant compte de lui. L'un des plus grands obstacles serait de donner l'impression que la décision est déjà prise et qu'il ne s'agit là que de l'entériner. Des possibles existent: on est ensemble pour décider du chemin à emprunter et des étapes.
Chambre d'écho et d'enregistrement
C'est un exercice difficile pour des enseignants qui ne sont pas des spécialistes de l'entretien. Dans cette formation, on insiste sur les différents types de reformulation et des effets induits. À la manière dont on opère régulièrement une sauvegarde lors de la saisie d'un texte, il est important d'effectuer des reformulations, dites en écho ou de reflet. Cela permet de fixer la signification d'un élément-clef, de vérifier que l'on a entendu la même chose : "Si j'ai bien compris, tu veux me dire que...". Mais les reformulations sont aussi des appuis et des relances. Lorsque la personne en face donne une information qui paraît de nature à apporter un élément nouveau, il appartient en quelque sorte de la verrouiller : "Si j'ai bien compris, tu es décidé à modifier telle attitude en classe." On le voit, cet exercice de la reformulation se situe bien sur le terrain pédagogique au sens étymologique du terme. Il ne s'agit pas d'imposer sa voix, mais de parvenir à une décision commune pour faire une partie de chemin ensemble.
De l'écoute
Pour que progresse l'entretien, et surtout dans cette forme d'accompagnement personnalisé, il convient non seulement d'être là comme un guide, mais aussi de montrer à l'autre qu'il est écouté, compris et pris en compte. On cherche ensemble la solution qui lui conviendra. Pour cela, il faut savoir, à propos, relancer le discours. Signes d'acquiescement, prises de notes ou paroles sont autant de façons de montrer qu'on est bien dans un processus de communication et d'attention à l'autre. Encore une fois, que l'enseignant soit face à l'enfant ou à un parent, il est capital qu'il n'apparaisse pas comme celui qui est sûr de la réponse et qui cherche à l'imposer. Au contraire, c'est à lui de manifester qu'il est attentif aux différents éléments d'information apportés. Il peut signaler des éléments qui modifient sa perception avec des formules du type : "Ce que tu viens de me dire est important car cela signifie que recopier est peut-être plus important pour toi que pour d'autres quand tu veux retenir ta leçon." Pour tel autre, il pourra marquer que son investigation lui ouvre une perspective nouvelle comme celle de recourir au schéma ou au dessin. Bref, il s'agit bien d'entrer dans une véritable empathie conjuguée avec la distance professionnelle.
Un engagement pour l'avenir
C'est bien dans cette dimension professionnelle que doit s'ancrer la fin de l'entretien. On a écouté le jeune, son parent. Pour autant, il convient d'éviter deux écueils : la sympathie qui n'offre aucun espace à l'autre ; la neutralité qui renvoie autrui à un statut d'objet. Un entretien efficace, dans ce cadre, se traduit surtout par des décisions contractuelles issues de ce temps partagé. Il se doit d'être marqué par le fait de dégager des pistes d'action qui, en premier lieu, trouveront leur place dans le groupe-classe. C'est rassurant et pour le jeune et pour ses parents. C'est la phase un peu solennelle de la formalisation des décisions. Définir des gestes qu'il va falloir préciser, écrire, situer dans un cadre et une durée. Face à un élève qui doit modifier sa participation en classe, on pourra proposer, par exemple, qu'il intervienne au moins deux fois sur chaque demi-journée. On conviendra ensemble d'un mode de contrôle et d'une date pour faire le point sur les efforts consentis et les résultats. S'il y a des chances que cet accompagnement engage l'élève vers plus de réussite, c'est en définissant ensemble des étapes mesurées et mesurables. Et l'entretien a, dans ce cadre, tout son rôle à jouer !