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le compagnonnage, une démarche de co-formation entre pairs
mis à jour le 05/11/2024
Julien Rougelot est professeur de mathématiques au collège Julien Lambot à Trignac. Stéphanie Belot est professeure de lettres modernes au lycée Caroline Aigle de Nort-sur-Erdre. Ce matin de mars, elle lui ouvre sa porte pour une séance d’observation dans le cadre d'un compagnonnage.
mots clés :
échanger, co-formation, formation, échange de pratiques
Dans le bureau adjacent à la salle de classe, Julien et Stéphanie débriefent. Stéphanie a ouvert sa porte pour une séance d’observation de deux heures dans le cadre d’un compagnonnage. La première heure est une séance de français en classe de seconde, la deuxième une séance de spécialité HLP (Humanités, littérature et philosophie) en classe de terminale. L’observation est suivie d’un temps bilan dans lequel l’enseignant observateur apporte son regard à travers le questionnement naissant. Ce bilan est pour l'enseignant observé un moment d’analyse de sa pratique, où l’on revisite avec d’autres mots, où l’on questionne ce qui resterait de l’ordre de l’impression sans ce retour d’expérience, “On professionnalise notre activité” dira Julien. En quoi le compagnonnage permet-il un espace réflexif propice à l'évolution des pratiques professionnelles ?
Le compagnonnage est un dispositif de formation parmi d’autres proposés par l’EAFC. Le but des visites et plus largement du dispositif en général est que chacun puisse progresser autour de ses propres questions professionnelles, qu'elles soient d'ordre pédagogique, “Parviens-je à mettre tous mes élèves au travail ?”, “Ai-je la même attitude avec mes élèves filles et garçons ?”, ou didactique, “Comment mettre en place des exposés en mathématiques en classe de cinquième ?”, “Comment mettre en place une correspondance inter-classes ?”, etc. Les échanges entre pairs vont favoriser ce questionnement mais aussi permettre la conception commune d'outils et de ressources pédagogiques. Une attention sur les liens entre les postures enseignantes, les outils et techniques utilisés et l'activité des élèves est mise en avant. Une des hypothèses du travail de recherche est que les échanges entre pairs autour des pratiques permettent de cheminer de questionnements éducatifs à des questionnements pédagogiques puis didactiques. L'objectif est en fait de développer à plusieurs la réflexivité face aux pratiques, repérer les routines, ce qui n'est pas questionné ou qui pourrait être fait autrement.
Le compagnonnage est une idée reprise d'un dispositif déjà expérimenté, celui des visites mutuelles
1. Le dispositif est initié il y a deux ans par Sylvie Grau, chercheuse au Cren (Centre de recherche en éducation de Nantes) et Julien Rougelot professeur de mathématiques au collège Julien Lambot à Trignac. Il est intégré au Praf (Programme académique de formation) dans le cadre de la formation à public ciblé ce qui permet de générer des ordres de mission aux
membres du collectif lors des temps de visite. Les membres expriment le souhait d'élargir le groupe de travail et celui de voir fleurir une démarche de formation entre pairs. Le dispositif réunit une dizaine de professeurs volontaires et deux chercheuses du Cren. Les chercheuses, par leur questionnement, amènent les professeurs à expliciter leurs démarches et gestes professionnels, elles cherchent aussi à comprendre les effets du dispositif sur les pratiques et apportent les premières ressources bibliographiques permettant d’étayer la réflexion des enseignants. Le groupe se réunit quatre fois dans l’année, une fois par période afin de créer des outils pour favoriser la pratique. C'est dans ce cadre que se déroule la visite du jour.
Le terme “compagnonnage” est né de l'idée de pairs qui travaillent ensemble et de la volonté d'éviter toute dissymétrie au sein des binômes. Le compagnonnage est basé sur une relation horizontale et choisie reposant ainsi sur la constitution de binômes. Il est important et nécessaire que les deux soient volontaires à la démarche. Le choix dépend plus des personnes et de leurs pratiques que des disciplines. Le compagnonnage au sein de la même discipline permet d'aborder plus facilement et rapidement des questions didactiques. Pour autant, observer une autre discipline est également intéressante pour les membres du dispositif, amenant un regard plus centré sur le pédagogique et demandant de l'explicitation et de l'acculturation didactique. Ce décalage disciplinaire peut également soulever des points didactiques pertinents.
La forme des allers-retours entre observé et observateur dépend du binôme. Certains se connaissent déjà dans le travail, le compagnonnage s'est donc fait vite et de manière fluide, d'autres ne se connaissent pas et ont des pratiques parfois très éloignées. Dans ce cas, le compagnonnage se construit dans un temps long, jusqu'à deux ans pour construire une relation de confiance suffisante pour que les échanges autour des pratiques soient vécus comme sincères et faciles. Un cadre éthique ainsi que des repères sont synthétisés dans un document intitulé Vademecum, afin de garantir une posture professionnelle et bienveillante lors des séances d'observation.
Le compagnonnage s'inscrit dans un temps long et repose sur un triptyque : l'observation d'une pratique réelle, puis, l'analyse réflexive qui passe par l'écrit des faits observés suivi d'échanges autour de ce premier écrit où les analyses sont partagées au sein du binôme, enfin, l'écriture à deux d'un compte-rendu de ces échanges. Les retours de visites seront ensuite analysés collectivement lors des quatre réunions annuelles du groupe. Il s'agit véritablement d'un travail d'analyse de l'activité réelle de l'enseignant, étayé par l'apport théorique des chercheuses, permettant de faire émerger les postures inconscientes et de tester des dispositifs nouveaux afin d'en analyser collectivement les effets sur les apprentissages.
Lors de l'entretien croisé entre Stéphanie et Julien qui prend appui sur l'observation des séances de français menées le matin même, apparaît la question de la place de la culture de l'élève dans les enseignements. En effet, Stéphanie a invité ses élèves de seconde à s'interroger sur des sujets qui les intéressent et à les présenter à la classe sous forme d'exposé oral. Il s'agit d'une séance d'ouverture de séquence. L'activité permet de poser la question de l'échelle de valeur de la culture. Julien, qui dresse un compte-rendu factuel de l'activité, fait le lien avec les exposés mathématiques réalisés dans ses classes et questionne alors la place accordée à la culture personnelle de l'élève dans son enseignement ainsi que la place accordée à l'oral. L'envie d'accorder plus de place à l'oral et l'expérience personnelle de l'élève est exprimée.
Stéphanie et Julien expérimentent une
grille d’observation. Il s’agit de construire un protocole, une démarche. Cette grille n'est pas définitive. Déjà, les lignes bougent et l’idée d’ajouter une rubrique, “J’ai envie d’essayer…”, émerge. Son utilisation n'est pas systématique car il est préférable, selon Julien et Stéphanie, de ne pas toujours définir d'angle d'observation en amont de la visite. Dans ce cas, il sera intéressant de comprendre justement ce qui a été saisi par le regard de l'observateur, ce qui a été particulièrement observé ou ce qui a questionné. Les échanges et analyses permettent ensuite de resserrer sur un objet particulier. Ce bilan fait bouger le rapport et le regard sur l’activité professionnelle : “Chaque visite fait bouger les choses. Dans une temporalité plus longue, le temps de l’appropriation et du test, les pratiques évoluent. Il s’agit bien d'une co-formation.” déclare Julien.
Le compagnonnage est un dispositif transférable à l'échelle d'un établissement. Stéphanie développe au sein du lycée Caroline Aigle de Nort-sur-Erdre, les visites entres pairs. L'établissement ouvert en 2020 réunit une équipe enseignante nouvelle, riche d'expériences et de pratiques variées. L'envie de découvrir et de partager ces pratiques a émergé. Un temps de concertation au premier trimestre de l'année 2023-2024 a permis d'informer l'équipe pédagogique sur le compagnonnage et l'intérêt des visites d'observation dans la diversification et l'évolution des pratiques. Un tableau accroché en salle des professeurs permet aux enseignants volontaires de proposer des séances “porte ouverte” aux collègues désireux d'observer d'autres pratiques et d'analyser les leurs. Un bilan de l'expérimentation sera réalisé en fin d'année.
1. Le
formulaire de demande individuelle de visite mutuelle de classe est disponible sur le site académique. Il est à adresser à l'EAFC :
ce.eafc1@ac-nantes.fr.
auteur(s) :
É. Rauhut
contributeur(s) :
J. Rougelot, S. Belot, collège Julien Lambot à Trignac et lycée Caroline Aigle à Nort-sur-Erdre
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