Un cours presque ordinaire
La professeure peut partager son écran, elle s'efforce de solliciter des élèves dans chaque salle et cherche à collecter le maximum d'informations sur la manière dont le cours est reçu, par de rapides questions auxquelles, le plus souvent, la salle sollicitée répond par écrit de quelques mots dans la fenêtre dialogue. Cela ne perturbe en rien le cours. Ce jour-là, la première consigne était de retrouver dans un texte en grec la traduction des mots en gras. Aussitôt, dans la classe de Claire Laimé, les élèves se mettent au travail. Ils cherchent ensemble, sauf une qui travaille seule. Pendant ce temps, d'autres groupes se connectent. Rappel de la consigne - qui est aussi sur le document qu'on leur a remis. Dans chaque salle, l'adulte se déplace, donne éventuellement une indication, encourage... L'enseignante guide le travail en rappelant à tous le contexte du cours précédent. Elle demande à son élève technicien de bien cadrer le texte et annonce que c'est le collège de Bercé qui va commencer la correction, par la lecture du texte. Le temps restant est rappelé. À l'échéance, un élève de Bercé a le statut de présentateur et lit la première phrase, puis traduit les mots. Un autre élève, de Malicorne, enchaîne. L'image du lecteur apparaît à l'écran et accompagne sa voix. Le son est d'assez bonne qualité pour la première liaison, moins pour la suivante. Le second temps du cours est consacré à la découverte des prépositions à partir d'une série de dessins amusants mettant en scène un homme et un taureau, dans une saynète. Les élèves prennent le cours sur leur cahier. Après ce temps de prise de notes, ils amorcent un exercice de traduction de compléments circonstanciels, qui les amène à utiliser lesdites prépositions en mettant le groupe nominal au bon cas ! Claire Laimé annonce avant de les saluer que cet exercice de réemploi sera à terminer pour le cours suivant, où il sera repris. Tout au long du cours, l'enseignante a dialogué avec les différents groupes, appelant élèves et assistants par leurs prénoms, instaurant ainsi une proximité certaine. De même, les élèves se connaissent. Les différents groupes utilisent la fenêtre dialogue pour des demandes précises : "besoin de plus de temps, retour à l'image précédente, on n'a pas entendu...". Les rituels et l'ambiance sont très proches de ceux d'une classe ordinaire.
La troisième heure : un travail partagé
Assurée par l'enseignant en poste dans l'établissement, elle entretient bien évidemment un lien avec le cours commun. Pour partie, elle est consacrée à un retour sur le cours, avec des explications complémentaires si besoin, des exercices de manipulation... (
voir annexe). Mais il peut aussi s'agir d'approfondissement, d'apprentissages nouveaux. Chaque enseignant choisit : il adapte le cours à ses élèves et à leurs demandes. Il arrive qu'un échange se fasse entre les enseignants sur les pistes de travail envisagées par tel ou tel à la suite d'un cours, que des supports soient utilisés par plusieurs, plus ou moins remaniés. Quand on sait que le logiciel utilisé pour le cours ne propose pas l'alphabet grec, on devine que tout support saisi en grec fait gagner à tous un temps précieux. Mais l'essentiel n'est pas là : les enseignants de lettres classiques n'ont jamais l'occasion de travailler à plusieurs. Cette action leur permet de prendre conscience de l'intérêt de la réflexion commune, des échanges d'idées ou d'outils pour enrichir leur pratique et la diversifier. Claire Laimé met son cours en ligne, ce qui permet aux autres enseignants d'anticiper l'accompagnement qu'ils vont mettre en place, et, le cours étant enregistré lui-même en totalité, il peut être revu à la demande. En outre, divers documents mis à disposition par Madame Laimé sur le site du collège de Marolles peuvent nourrir les recherches des élèves comme des professeurs. Le cahier de textes électronique, accessible à tous sur le site du collège, permet à chacun d'avoir une trace de la progression réelle par rapport au projet.
Un dispositif efficace
Au collège de Bercé, à Château-du-Loir, Anthony Salomé, professeur agrégé de lettres classiques, constate que le dispositif est efficace. Le niveau des élèves est tout à fait correct. Il pense que la qualité des cours de sa collègue y est pour beaucoup, tout comme la concertation pédagogique des quatre enseignants - même s'il estime que le nombre de points de grammaire abordés est peut-être un peu moins important que dans un enseignement classique. Les cours sont détendus, les élèves s'entraident, peuvent échanger, ils peuvent - et doivent même - se déplacer. Ils se sentent plus libres et donc plus responsables. Ils ont bien compris que la leçon peut continuer sans eux et que c'est à eux qu'incombe la responsabilité d'être réellement dans le cours. Ici, sur les huit élèves, sept sont des garçons, séduits sans doute par la dimension technologique du projet et par le paradoxe de cette forme d'enseignement d'une langue très ancienne au moyen de la technologie la plus moderne. Ne s'agit-il pas d'un dépoussiérage d'une option "grec" à l'image traditionnellement plutôt vieillotte ? Sans doute aussi les élèves sont-ils séduits par l'offre d'un enseignement nouveau à la fin de leur cursus en collège. C'est un moment où ils ont le sentiment d'avoir fait un peu le tour de ce premier cycle et attendent le lycée pour avoir du nouveau. De fait, ils sont très intéressés par la découverte culturelle, certains se passionnent pour l'étymologie, comme cette élève du collège Kennedy, à Allonnes, dont la vision des mots a changé, qui cherche à retrouver dans les mots français des mots grecs découverts en classe, à grouper les mots d'après des racines, et repense des mots usés à la lumière de leur sens étymologique. Du complètement nouveau pour elle. Un peu plus en difficulté dans l'apprentissage de la grammaire, les élèves reconnaissent que l'aide de leur professeur de l'établissement leur est indispensable : revoir les déclinaisons de manière ludique, bénéficier d'une autre approche de la conjugaison, c'est très utile, car le cours est dense. Après le cours où le professeur a été absent à Château-du-Loir, il y a eu un fléchissement dans le travail et les résultats. Depuis, c'est reparti. Hasard ? Ou pas ?
Le grec ancien : un franc succès
La proposition de cet enseignement à Château-du-Loir a provoqué un véritable engouement : dix-sept candidatures pour huit places ! Les huit élèves retenus, sans option jusque-là, appartiennent tous à la même classe. Pour huit des neuf autres, libres sur un même créneau horaire, sur la pause méridienne, Anthony Salomé anime un atelier de grec ancien, où il propose aussi une découverte de la civilisation et de la langue, ludique... Dans ce collège, dix-sept élèves de troisième vivent donc, de manières différentes, une initiation au grec ancien. Cette offre répond donc bien à un besoin, à un manque, même informulé. C'est très vrai aussi à Allonnes, collège relevant de l'Éducation prioritaire, situé en périphérie du Mans. Si cette année, seuls cinq élèves de la classe orchestre ont adhéré au projet - pourtant présenté dans toutes les classes - pour l'an prochain, c'est très différent. En passant dans les différentes quatrièmes, le principal a recueilli trente-six candidatures émanant de toutes les classes et d'élèves aux profils différents ! Preuve que là aussi, cet enseignement a trouvé pleinement sa place. C'est grâce à de telles offres d'excellence qu'un collège comme celui d'Allonnes peut espérer maintenir une diversité sociale chèrement acquise : les parents des villages résidentiels de la périphérie un peu plus lointaine du Mans sont sensibles à des possibilités valorisantes pour leurs enfants, et les élèves eux-mêmes pensent qu'il est souhaitable que cette option soit pérenne. Ils se disent vraiment intéressés par ce qu'ils apprennent et sont séduits par la situation particulière qu'ils ont dans ce cours. Le contexte technologique, l'émulation entre les salles, l'excellente relation avec Philippe, leur assistant d'éducation, perçu un peu comme un tuteur, tout cela contribue à l'attrait de cet enseignement. Philippe est un étudiant en master 2 d'histoire, qui se destine à l'enseignement, puis à la recherche. Par sa formation et son projet professionnel, très à l'aise en informatique, il est particulièrement apte à cet accompagnement et c'est naturellement à lui que le principal l'a proposé. Pendant la prise de notes sur les différents types de temples, il mène habilement, avec les élèves, des activités de reformulation qui guident la prise de notes et, en heure de soutien, le soir, il a pu aider certains dans la préparation de leur exposé.
De la technologie, mais d'abord des personnes
Outre l'enseignement du grec ancien très apprécié et ainsi valorisé - cela permettra-t-il de nourrir les options des lycées sarthois, même si à Marolles-les-Braults, cinq élèves déclarent aujourd'hui vouloir continuer le grec en seconde ? - d'autres apprentissages sont en jeu. La concentration : "Moi qui suis rêveur, là, je suis obligé d'être attentif", et aussi l'autonomie. Le cahier est ainsi géré par l'élève seul. Pendant le cours, la prise de notes est très méthodique, et fortement guidée par Claire Laimé qui précise titres et numéros et propose des outils : "Vous pouvez faire un tableau, vous pouvez utiliser des couleurs différentes...". Mais au final, chaque élève se débrouille. On observe une bonne efficacité : les feuilles sont coupées et collées au fur et à mesure. L'entraide est la règle, mais le silence est de rigueur ; sans lui, impossible de suivre et il s'impose, apparemment sans problème. L'élève sait qu'il ne peut pas attendre une aide directe de l'enseignante, donc il apprend à chercher seul la solution ou à solliciter ses camarades... Tous les enseignants notent un gain d'autonomie et un investissement personnel. Des élèves participent à l'installation et au rangement, ils sont tous vraiment acteurs du cours ; leurs interventions à l'ordinateur sont rapides et efficaces. Ce dispositif est très efficient. Avec cinq heures intégrées à la dotation globale horaire du collège Jean-Moulin de Marolles-les-Braults, qui permettent à Claire Laimé d'assurer ses trois heures de cours de grec, dont les deux en visioconférence, et de coordonner le projet, plus une heure dans chaque collège pour l'enseignant, avec neuf heures donc, il permet à plus de vingt élèves de troisième éparpillés dans cinq établissements distants de bénéficier d'un enseignement de qualité, rare, et qui leur plaît. Mais, comme le souligne le principal du collège Jean-Moulin, la réussite du projet tient d'abord à des personnes, à leur investissement individuel. Les cinq professeurs forment une équipe convaincue qui prend le temps nécessaire aux échanges, les chefs d'établissement ont partout soutenu le projet, les assistants d'éducation trouvent là une activité responsabilisante et valorisante, mais exigeante... Sans cette adhésion forte, un tel dispositif perdrait son sens et sans nul doute son efficacité.
1. Sur le plan technique, le terme renvoie au principe de la webconférence.