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« Les Femmes et la Guerre dans le théâtre d’Aristophane »

mis à jour le 20/09/2024


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L’Assemblée des femmes d’Aristophane

 Episode 1

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Magali Le Sénéchal-Vidal (Lycée Bergson – Angers)

et Isaline Braquehais (Collège Alain-Fournier – Le Mans)

 

 

Le Plan national de formation Les Rendez-vous de l’Antiquité 2024 nous donne l’occasion de présenter, à l’ensemble des professeurs de l’académie, assumant l’enseignement des Langues et Cultures de l’Antiquité, une série de pastilles issues de prises de notes lors des conférences, master-class et ateliers suivis. Elles visent à éclairer les enjeux littéraires et historiques du théâtre d’Aristophane, notamment L’Assemblée des Femmes, et les problématiques induites par sa transmission dans le cadre scolaire. Il s’agit aussi pour chacun d’éprouver la vivacité et l’intérêt de la recherche contemporaine en littérature ancienne et de permettre de s’y plonger à la faveur de ce cycle de publications.

https://eduscol.education.fr/3981/rendez-vous-de-l-antiquite-l-assemblee-des-femmes-aristophane

 Episodes :

1)       « Les Femmes et la Guerre dans le théâtre d’Aristophane »

2)       « La métathéâtralité dans l’Assemblée des femmes »

3)       « Les Femmes, ces hommes pires que les autres : obscénité et politique dans l’Assemblée des femmes »

 


 

mots clés : LCA, Aristophane, théâtre, femmes, pacifisme – guerre – misogynie – gynécocratie – utopie


 « Les Femmes et la Guerre dans le théâtre d’Aristophane »

 

Prise de notes suite à l’intervention de Monique Trédé, membre de l’Institut, académie des Inscriptions et Belles Lettres (PNF Rendez-vous de l’Antiquité 2024) mercredi 20 mars 2024

 

Questions problématiques :

* Aristophane développe-t-il une vision pacifiste de la politique grecque à travers ses comédies ?

* Quelles interprétations peut-on donner de la présence presqu’inédite des femmes dans l’Assemblée des femmes ?

* L’Assemblée des femmes a-t-elle pour cœur le développement d’une vision misogyne de la société ?

* L’économie et la structure de la pièce nous permettent-elles de considérer l’Assemblée des femmes comme une comédie moyenne, en transition vers la comédie nouvelle ?

* A quoi sert l’utopie dans l’Assemblée des femmes ?

 

Mots-clefs : pacifisme – guerre – misogynie – gynécocratie – utopie

 

La guerre est omniprésente dans le théâtre d’Aristophane comme dans la vie des Athéniens. La guerre du Péloponnèse s’est étendue sur 30 ans jusqu’en -401, la guerre de Corinthe se clôt en -386 et se trouve être la toile de fond de l’Assemblée des femmes, une donnée-clef à prendre en compte. Aristophane produit ainsi ses pièces dans le contexte de ces guerres. Son théâtre est pacifiste, mais hanté par les enjeux belliqueux.

Les femmes ont une place infiniment réduite dans le théâtre d’Aristophane. Aucune femme n’est présente dans Les Cavaliers, Les Nuées ou Les Oiseaux. Seules trois pièces connues d’Aristophane donnent une place de choix aux femmes : Lysistrata, Les Thesmophories et L’Assemblée des femmes. Les pièces d’Aristophane qui ne nous ont pas été transmises mettaient en leur cœur des sujets mythologiques sans considérations particulières pour les femmes (consulter pour cela les travaux de Jean-Claude Carrière). Logiquement, les comédies transmises, traitant du politique et de la guerre, excluent de fait les femmes du théâtre comme d la vie civique.

                Dans les textes antérieurs à Aristophane, les femmes ont une place très minime dans la guerre et la société. Les textes de bravoure à retenir sont sans doute les adieux d’Hector et Andromaque (vv. 405 sqq) et les pleurs de Briséis à la mort de Patrocle (vv.190 sqq) dans l’Iliade. Dans ces deux textes, la femme est présentée comme victime et pleurante, et se complait dans les gémissements. Chez Euripide, les femmes envahissent la scène. Elles sont là encore des victimes mais également les héroïnes du drame. On assiste ainsi à une mutation de la vision des femmes (consulter Claire Nancy, Euripide et le parti des femmes, rue d’Ulm, 2016). Les plus faibles deviennent des héroïnes. De son côté, Hésiode incarne la tradition d’un regard misogyne sur les femmes : dans la Théogonie, les femmes sont dépourvues de . Chez Aristophane, faut-il considérer les femmes comme un défouloir pour le poète misogyne ou peut-on lire une vision plus complexe d’Aristophane à l’égard des femmes ?

La femme chez Aristophane est l’héritière d’un grand nombre de traits forgés par Hésiode : elle aime à boire, à faire l’amour... De fait, Lysistrata veut dénouer la guerre en élaborant un plan, la guerre du sexe, pour obtenir la fin du conflit. Aristophane retourne le vers célèbre d’Homère (Iliade, VI, 491 : La guerre est l’affaire des hommes – ) : dans Lysistrata, la guerre sera l’affaire des femmes. Le renversement s’opère aussi du côté des hommes. Ils pleurent, se font renvoyer à leur tâche, voter la paix, par leurs femmes qui ont pris l’ascendant. Si les femmes ne peuvent elles-mêmes conclure la paix, elles contraignent leurs époux à le faire.

 

                La date d’écriture de L’Assemblée des femmes est incertaine : -393 ? -391 ? Le contexte de la guerre de Corinthe est en tout cas avéré. La pièce est une pièce de transition. C’est le premier témoignage de l’évolution du genre de la comédie. La théorie littéraire a pu la qualifier de comédie moyenne, du fait de sa construction, qui efface ou bouleverse les formes traditionnelles. Monique Trédé invite néanmoins à modérer ce regard. Certes, la composition de l’œuvre, plus libre que la comédie ancienne, crée un décalage et initie la transition de genre à venir vers la comédie nouvelle. Pour rappel, la comédie ancienne s’ouvre sur un prologue qui expose l’action à venir et présente le héros, la parodos ou entrée du chœur, l’agôn entrecoupé de chants du chœur et se clôt sur la parabase, intermède où le coryphée s’adresse au public en termes politiques et l’exodos. Or, pour la pièce qui nous occupe, il n’y a pas de parodos, la parabase est amoindrie, le rôle du chœur est effacé, l’agôn est très réduit. Le sujet de la pièce se fonde sur un paradoxe burlesque : la gynécocratie. Deux parties peuvent être dégagées : les femmes prennent le pouvoir dans la cité en première partie, et les conséquences en sont exposées en deuxième partie. La parabase aurait dû se trouver entre ces deux parties, ce qui n’est pas le cas. Malgré le mot-valise fabuleux de la fin de la pièce, la création verbale n’est pas le moteur de la pièce, alors même que certaines pièces d’Aristophane, bien ancrées dans la comédie ancienne, ont fondé des moments entiers sur des paronymies ou la polysémie des mots.

Néanmoins, l’Assemblée des femmes reste très en lien avec la comédie ancienne pour son sujet central : la satire politique. Il est important de se souvenir des conditions de production de l’œuvre : Aristophane est vieillissant, il est moins fougueux. Le public athénien, démobilisé après la défaite de -404, s’est dépolitisé. La cité a dû instituer une contribution financière pour inciter les citoyens à aller à l’assemblée (le mistos ecclesiasticos, ). Le public aspire au développement sans péril des affaires privées, point de départ de l’essor de la comédie nouvelle, et sa définition même. Dans l’Assemblée des femmes, certes, l’agôn est amputé : il consiste uniquement en une première partie sur la communauté des biens et des femmes. Aucune controverse n’est apportée. Cependant, si l’on relit les pièces d’Aristophane, peu d’agôn sont canoniques. Le rôle du chœur est indéniablement réduit par rapport aux comédies anciennes, mais les sujets principaux, la gaillardise et la scatologie, en sont caractéristiques.

La mise en œuvre du programme de Praxagora consacre la ruine de la cité comme corps politique. La cité devient un lieu de consommation où les liens filiaux ont disparu. L’espace domestique a envahi l’espace civique. C’est un écho aux Cavaliers où l’espace politique finissait par se réduire à un espace culinaire (v.1083). Le résultat des actions mises en œuvre par les femmes n’est pas à la hauteur de celui de Lysistrata. Peu d’éléments évoquent la guerre dans l’Assemblée des femmes. Praxagora, dans une prise de paroles, exprime sa tristesse de voir partir à vau l’eau les affaires de la cité, dirigée par de mauvais chefs. Les Athéniens sont présentés comme versatiles, divisés et stupides.

 

                L’utopie d’Aristophane sert de révélateur au temps présent. Le dramaturge oppose donc, aux espoirs sans fondement d’un peuple irréfléchi, des constations plus sombres. On en arrive à la ruine de la démocratie, qui donne le pouvoir aux femmes parce que les hommes n’ont pas été à la hauteur. Le triomphe du vieil âge, à la fin de la pièce, correspond à la destruction des forces vives de la cité, dont la folie de conquête en est la cause.

 

Prise de notes réalisée par Isaline Braquehais et Magali Le Sénéchal- Vidal

Formatrices LCA Académie de Nantes



image : Bust of Aristophanes in the Uffizi Gallery at Florence, Photo: Alinari, Creative Commons Zero, Public Domain Dedication
 
 
contributeur(s) :

Magali Le Sénéchal-Vidal et Isaline Braquehais

information(s) pédagogique(s)

niveau : tous niveaux

type pédagogique : connaissances

public visé : enseignant

contexte d'usage :

référence aux programmes :

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