C) Crise ou recomposition du politique ? Avant tout, il faut distinguer :
- Les formes conventionnelles de participation politique (formes électorales, formes partisanes)
- Les formes non conventionnelles de participation politique (réponses aux sondages, engagement dans des associations).
Nous allons donc revisiter la notion supposée de crise du politique.
Les formes conventionnelles de participation politiqueLethèmede désaffection est à reprendre. Les études de sociologieélectoralemontrent une certaine tendance à la baisse des taux departicipation(cette baisse dépend toutefois de la nature des élections:présidentielle, municipale, ...). Mais on ne peut conclure àunedésertion civique.
Ledéclindes partis n'est pas irréversible. Certes, les partis onttendance àdevenir des entreprises politiques. Mais il existe sansdoute unepossibilité d'auto-correction : les partis redeviendrontpeut-être deslieux de débat ?
Dénigrersystématiquementla représentation parlementaire est dangereux. Il fautredorer l'imageliée au parlement, avec notamment l'interdiction ducumul des mandats.
Les formes non conventionnelles de participation politiqueIntéressons-nousauxconclusions d'un ouvrage publié par le CEVIPOF (centre d'étude dela viepolitique française), " L'engagement politique ". Y a-t-il crisedel'engagement ou simplement recomposition de l'engagement sociétal ?
Cettedernièresolution semble retenue. On observe une prédilection desjeunes et desmoins jeunes pour des engagements de proximité ; de plus,lamobilisation semble plus ponctuelle (on parle désormaisdemicro-mobilisation). Il faut donc parler d'un déclin dumilitantismetraditionnel, au profit d'une reconversion vers des formespluséphémères de mobilisation (défense de l'environnement, défensedessans-papiers ...). Il y a crise de certaines formes d'engagement,maispas de l'engagement en tant que tel : on peut donc parlerdereconversion du militantisme traditionnel, qui serait plusponctuel,plus ciblé. Il y a donc souci de préserver sa vie personnelle:l'investissement militant doit être compatible avec la vie privée.
En conclusion de cette première partie, détachons-nous de lectures pathologiques relatives à notre société.
Deuxième partie. Sociologie électoraleL'électionconstitueune pièce essentielle du mécanisme républicain. Au sein de lasociétémoderne, le suffrage universel s'adresse à des couches socialesde plusen plus larges : on peut donc parler de dynamique du suffrageuniversel.
Dans toute démocratie, l'élection au suffrage universel a une double fonction :
- Auprincipede légitimité des autorités politiques (cf élection par lepeuple) : auxEtats-Unis, le tirage au sort a été écarté car il negarantit pas àl'élite la légitimité du suffrage universel
- Auxinstancesde régulation. Le peuple souverain participe directement àladésignation et à la destitution des autorités politiques. Il y adoncrepolitisation permanente de la société.
Lacompréhensiondu vote s'est imposée avec l'une des parties essentiellesde la sciencepolitique contemporaine. Rappelons que la sciencepolitique constitueune discipline ancienne dans les pays anglo-saxons.En France, lascience politique ne s'est développée que trèstardivement. Lasociologie électorale est la noblesse de la sciencepolitique. Le rôledu politologue est de commenter les résultats duvote.
EnFrance,la sociologie électorale a été développée par A. SIEGFRIED sousla 3èmerépublique (1918 : " Le tableau politique électoral de laFrance del'Ouest ") . Les méthodes en sociologie sont transposées parA.SIEGFRIED à l'étude du vote. Le vote aurait-il un rapport avec l'âge?Avec les CSP ? Avec la religion ? Telles étaient les questionsposéesdans l'ouvrage.
L'objectifestdonc d'identifier une ou plusieurs variables qui permettraientdeprédire le comportement électoral futur des électeurs.
On distingue deux grands modèles interprétatifs :
- Lemodèlede l'électeur captif : le vote serait puissamment déterminé parunensemble de variables, de détermination (schéma de la sociologiededurkheim). C'est le modèle dominant jusqu'il y a 30 ans carilcorrespond aux tendances dominantes de la soiciologie ;
- Lemodèlede l'électeur stratège, individualiste, rationnel : l'électeurauraitune certaine autonomie et exprimerait des votes réfléchis(schéma de lasociologie de l'acteur de boudon et touraine).
Le modèle de l'électeur captif Ce modèle est né aux Etats-Unis.
En1960,le groupe du Michigan publie The american voter : l'objectif estdeproduire une sociologie de l'électeur américain dans lesannées1950-1960. On parle du paradigme, du modèle, du concept deMichigan :le modèle de l'identification partisane dont les traitsessentiels sontles suivants :
- Faible intérêt pour la politique
- La plupart des électeurs américains ont des opinions superficielles
- Identification forte à l'un des deux grands partis politiques américains (républicains / démocrates)
- Ce sentiment d'identification était un sentiment durable (vie entière)
- Deplus,il y avait reproduction de ce sentiment de génération engénération : onpeut donc parler de socialisation précoce despréférences partisanes. Ilsemble donc qu'il existe des relationscausales importantes entrecertaines variables et le vote. L'électeurserait surdéterminé par songroupe d'appartenance (démocrates èsalariés, minorités ethniques ;républicains è cadres supérieurs,milieux économiques, professionsagricoles).
En France, on a emprunté ce même schéma : variante française du paradigme de Michigan. Quels sont les principaux travaux ?
- MICHELATetSIMONT, 1977, " Classe, religion et comportement politique ". Levoteserait déterminé par des " systèmes symboliques de présentation ".Sontopposés deux systèmes stables et antagoniques:
- Le pôle du catholique déclaré ( = catholique pratiquant) : préférence pour le vote à droite
- Le pôle de l'ouvrier irréligieux ( = salarié irréligieux) : vote à gauche et extrême gauche
Onraisonneavec des variables prédictives, donc en termes de probabilitéset nonpas avec des relations de causalité ; mais les deux auteurs ontremarquéque lorsque deux déterminations se combinaient (exemple :ouvrierreligieux), c'est la détermination religieuse qui l'emporte surladétermination de classe sociale.
- A. PERCHERON : la famille constituerait-elle un vecteur privilégié de transmission des valeurs politiques ?
- E.DUPOIRIER,J. CAPDEVIELLE, 1978, " France de gauche, vote à droite ".Ons'intéresse ici à une autre variable prédictive : l'effetpatrimoine. Oneffectue donc une distinction entre possédants et nonpossédants.Rappelons toutefois que le clivage patrimonial necorrespond pasnécessairement au clivage de la richesse : des personnesriches peuventlouer une maison. En 1978, aux élections législatives,des défaillancesétaient apparues pour le vote à gauche. Les possédantsavaient plutôtvoté à droite. L'effet patrimoine constitue donc unebonne variableprédictive du vote.
- N.MAYER,E. SCHWEISGUTH s'intéressent à la variable indépendance autravail /soumission à l'autorité patronale. L'indépendance au travailrenvoie àune vision individualiste qui conduit à un vote à droite ; àl'inverse,le salarié voterait à gauche.
- A.LANCELOTa effectué des travaux sur l'absentéisme. Celui-ci est moinslié à desproblèmes de richesse qu'à des problèmes d'intégrationsociale.L'absentéisme serait d'autant plus élevé que les personnessont moinsintégrées socialement.
Le modèle de l'électeur stratège Ce type de modèle restaure davantage d'autonomie à l'électeur.
L'ensembledesrecherches fait état d'un affaiblissement desidentificationspartisanes. Les chercheurs du Michigan publient unnouvel ouvrage " Thechanging american voter ". De nouvelles notionssont introduites parrapport à l'ouvrage des années 60. Pourquoi ?
- Elévation du niveau de cohérence intellectuelle
- Voteenjeu(les enjeux deviennent lourds : émancipation civique desminoritésnoires, guerre du Vietnam, revendications féministes quiconstituent desressorts importants du comportement électoral).
On observe donc une certaine tendance au désalignement partisan. Pour quelles raisons ?
- Erosionde la variable religieuse (toutefois, on observe unesegmentation fortede l'identité catholique : il semble difficile defaire des distinctions)
- Certainesvariables sociales ont perdu de leur pertinence. Selon H.MENDRAS, la2ème révolution industrielle a abouti à l'émergence d'uneconstellationnouvelle et centrale de classes de salariés. L'électeurmédianoscillerait entre droite et gauche.
- Montée en puissance de la volatilité électorale (qui remet en cause lathèse de l'électeur captif)
- Pour A. LANCELOT, l'électorat fait son marché le jour de l'élection
-Pour N. MAYER, ce seraient les déclassés, les exclus, les précairesquivoteraient de façon volatile
- Lepoids de certains facteurs historiques : les études de A.SIEGFRIEDmontrent que la structure des sols pourrait jouer un rôle(ceux vivantsur un sol calcaire voteraient à gauche, ceux vivant sur unsol degranit voteraient à droite).
- P.BOIS, dans " Les paysans de l'Ouest ", montre le contraire : danslaSarthe, ceux vivant sur un sol calcaire voteraient à droite,ceuxvivant sur un sol de granit voteraient à gauche. [sol granitique èplusdifficile à cultiver è habitat dispersé è influence des prêtres èvoteà droite ; sol calcaire è plus de cultures è bourgs plus importantsècommunications è train è vote républicain]. Dans les régionscalcaires,les propriétaires réticents à l'égard des excès de larévolutionfrançaise seraient en faveur de la chouannerie ; à l'est aucontraire,l'alliance des bourgeois et des paysans conduirait à jouer lacarte dela révolution.
Il semble donc que les déterminations géologiques ne constituent pas des variables pertinentes.
- N.MAYER : les petits boutiquiers sont-ils réactionnaires ? Ce n'estpastoujours le cas : exemple au 19ème siècle, développement dumouvementsocial, anarchiste mais avec l'arrivée du front populaire etla montéedu PC s'est développée la peur du collectivisme : il y adisparition dece courant.
- On peut distinguer une autre variable : le mode de scrutin (système multipartisan, scrutin majoritaire à deux tours, ...).
En conclusion, on peut parler de réhabilitation de l'autonomie de l'électeur, sous la pression de différents enjeux :
- Revendications féministes
- Dégradation de l'environnement
- Sécurité
- Immigration
Rédacteur : WOLFF René ; corrections et compléments DESSIOUX Jacques, GEHANNE Jean ClaudeBIBLIOGRAPHIE
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