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III - LA TOUE : LE BRAS DROIT DE L'AGRICULTEUR DE BASSE-LOIRE

     1- Opération de chargement et de déchargement

Chargement de roux. Photo tirée du livre “la batellerie et les toue à St Jean de Boiseau”

   "Les opérations de chargements et de déchargements d'une toue étaient faites par son nez, en passant par le tillac. Seul le déchargement du sable, du roux et du foin se faisait à quai."

   Les toues devaient être chargées à marée basse, mais déchargées à marée haute avec une dénivellation minimale entre le bateau et le quai pour ainsi accéder aux cales de débarquement.

   La toue était maintenue par un cordage à la berge, par le grappin avant fixé à terre et par le grappin arrière mouillé au large. Pour reculer ou avancer de la rive, les mariniers jouaient sur les chaînes. Lorsque venaient des courants et des vent violents, la toue était bien mieux maintenue : l'aussière était amarrée à l'arrière de la toue, l'autre extrémité était fixée à un arbre.

     2 - Les fonctions de transports

         

     Les toues servaient aussi au transport de passagers. Cela a commencé en 1810. Les mariniers étaient âgés entre 21 et 55 ans maximum : ils se devaient d'être vigoureux, vivants, attentifs et surtout  devaient connaître parfaitement dans les moindres détails la navigation.

     Cette tâche, de temps en temps, était attribuée aux agriculteurs de Basse - Loire car leurs terres étant parfois trop peu rentables, ceci leur permettait d'avoir un complément de revenu.

     La sécurité des passagers était assurée, car les agriculteurs connaissaient la Loire “comme leur poche”.

     La toue était limitée au transport de vingt-cinq personnes (passeurs compris). Le préfet de Nantes avait mis 6 bateaux pour le passage de Trentemoult (Rezé) à la Piperie (Nantes). Ils se nommaient : “le moroton”, “la citrouille”, “le casseboeuf”, “le saint Jean” “le saint Pierre” et “le diligeant”.

     En cas de crue, ces bateaux assuraient aussi la traversée de l'île Massereau à Basse - Indre.

Les toues transportaient également les animaux :

Transport d'animaux sur une toue

Photo tirée du livre “la batellerie et les toues à St Jean de Boiseau”

     "En raison de sa taille et de sa forme, la toue était un excellent moyen de transport dans le milieu agricole. Elle servait principalement aux agriculteurs à déposer leur bétail sur les îles, où se trouvaient leurs pâturages. Pour nourrir, soigner et surveiller les animaux, ils utilisaient plus particulièrement la plate, annexe de la toue, qui était plus maniable, moins encombrante et plus facile à manoeuvrer."

     Ils mettaient à bord de leurs bateaux : les veaux, les génisses et les vaches. Ces animaux ne posaient pas trop de problèmes pour embarquer dans la toue, il suffisait de leur donner quelques coups de bâton. Par contre, pour le cheval ce n'était pas si facile. Même en lui mettant des oeillères, en masquant de litière la dénivellation entre le quai de la berge et le nez de la toue, en lui faisant manger une poignée d'herbe pour distraire son attention, il était toujours un exploit de faire sauter l'animal pour embarquer. Mais le débarquement était généralement plus facile, les animaux ayant hâte de retrouver la terre ferme, quittaient la toue sans aucun problème.

         

    Les toues servaient, mis à part le transport des animaux, au transport des tonneaux de vin vers le Port Lavigne. Le sable était également transporté par les toues lorsqu'il fallait traverser les bras du fleuve ou remonter à Nantes. Les toues ont été indispensables pour la plantation des îles, l'exploitation et le transport du roux destiné à la fabrication des courtines. Et ce sont aussi ces bateaux qui acheminaient la marchandise vers les commerçants de Nantes.

     3 - Part dans les travaux agricoles :

         

Transport de foins, roux et javelles

Photo tirée du livre “la batellerie et les toues à St Jean de Boiseau”

     Le foin plutôt long, était embarqué en cosses portées à deux à l'aide d'une paire de vantières. Le chargement du foin dans la toue était une opération difficile. Avec une seule toue on transportait jusqu'à dix milles de foin (le mille vaut 500 kg).

     Les javelles étaient prélevées dans les piles établies sur les lieux de coupe. On les transportait sur le dos jusqu'au bateau, ou l' on disposait ces plantes comme le roux. Dans une touée de foin, on pouvait mettre mille javelles.

     Le matériel agricole, essentiellement une faucheuse au début du siècle, ne posait pas de problème. Pour entrer ou sortir les machines (faucheuses) on établissait des chemins de roulement avec bancs, planches et ponts.

       

     Il existe aussi des toues de pêche. A l'époque en Loire, la pêche principale était la "pêche aux aloses". D'après plusieurs photos que possédait M. Lecleves, un passionné d'histoire des toues et un constructeur de plate, le Pont de Pirmil était un lieu très fréquenté des pêcheurs.

     "Pour commencer, les toues se plaçaient derrière la pile du pont, dans le reflux. Les aloses remontaient le courant et tentaient de passer. Lorsqu'elles n'y parvenaient pas, elles se laissaient ramener dans le reflux provoqué par les piliers du pont afin de se reposer et repartir de nouveau.

     Seulement le carrelet du bateau les attendait à cet endroit stratégique.

     Pour savoir à quel moment ils devaient remonter le filet, les pêcheurs fixaient des ficelles aux quatre extrémités du carrelet. Ils savaient que les poissons étaient présents grâce aux impacts détectés tactilement à travers les ficelles. Il leur suffisait alors de remonter le filet rempli d'aloses grâce au contrepoids fixé à l'autre bout du mât tenant le carrelet."

Pêche au carrelet, à côté du pont de Pirmil

Pêche au carrelet en Loire

Les deux photos sont tirées du Livre “la batellerie et les toues à St Jean de Boiseau”

       

     La pêche du sable se pratiquait principalement entre 1920 et 1940. Les bancs de sable exploités se situaient devant “Belle-Ile”, en face de Cordemais. En général, cette "pêche" avait lieu à la belle saison : au printemps et en été.

     "Pour commencer, les toues se laissaient mouiller sur des bancs de sable relativement plats et peu profonds. Le chargement du bateau s'effectuait à la pelle puis le sable était transvasé à l'aide de brouettes. Le pont était appuyé sur le plat-bord et prolongé par une planche placée en travers de la toue. Les tas étaient limités à ses extrémités par des planches pour empêcher que le sable ne tombe dans le faux grenier.                                                                            Après avoir chargé le bateau, il fallait placer une pompe d'assèchement. Et pendant que la marée montait, "les pêcheurs de sable" déjeunaient. La toue était lourdement chargée ; elle pouvait supporter jusqu'à 5 tonnes de sable, il fallait donc surveiller la montée du flot et au besoin rejeter du sable par-dessus bord pour alléger le bateau. Une quinzaine de centimètres seulement séparait la ligne de flottaison et le dessus du plat-bord.                                                                  La plupart du temps, les toues revenaient avec le flot (marée montante) à la rame et à la voile."

     4- Les travaux annuels sur les îles

     L'hiver, les îles étaient souvent recouvertes par les crues. Mais dès que c'était possible, les agriculteurs de Basse Loire allaient faire les douves en les entretenant manuellement à la pelle.

     Chaque pré, appartenant d'ailleurs souvent à plusieurs propriétaires, était limité au nord et au sud, soit par la Loire, soit par un de ses bras. A l'est et à l'ouest, il était bordé de douves profondes.

     La saison des foins sur les îles débutait dans la première quinzaine de juin après celle des prés champeaux.

     La plupart des fermiers passaient au moins une semaine sur les prés pour le foin. Au reflux, on embarquait dans la toue faucheuse. On y trouvait des meules à affûter les lames, des chevaux qui devaient fournir un gros travail, du foin sec pour faire un matelas et un oreiller et bien sûr, de l'outillage : râteau de bois, broc, fourche à trois doigts, vantières, faux, faucilles et fourches. Il fallait aussi penser à la nourriture.

     Arrivé sur le pré, on débarquait bêtes et gens ainsi que le matériel. Les paysans construisaient des cabanes de branchages recouvertes d'herbe avec matelas de foin sec pour y dormir et manger en cas de pluie. Certains couchaient dans la cabine de la toue, mais il n'y avait pas assez de place pour tout le monde. Il fallait couper, sécher et rentrer le foin en moins de dix jours, entre deux grosses marées qui recouvraient souvent les prés. Le fauchage s'opérait sur des rectangles plus ou moins grands, délimités par les douves et les rigoles de drainage. Les cultivateurs faisaient deux fois le tour des prés pour couper et récolter le maximum de foin. Pour le séchage, on laissait les andains en l'état, mais dès le lendemain c'était la fenaison. Avec le broc, on retournait le foin en le soulevant et en l'égalisant. Tout le monde s'y mettait, même les enfants. Une averse et il fallait tout recommencer !.Enfin à l'aide du râteau, on ramenait le foin en aroues à partir desquels on faisait les cosses. A l'arrivée, les toues débarquaient avec le flot au risque d'attendre car les places, le long des quais de Basse Loire, étaient très convoitées. Accostés au port, ces bateaux attendaient souvent de la main-d'oeuvre et des vivres.                                                                                                                                                                Les marchands de foin et leurs aides, appelés aussi des rouliers, portaient toujours un solide fouet sur l'épaule. Chacun d'eux avait la charge de deux charrettes car pour remonter des cales, on devait utiliser deux chevaux.                            Après la moisson, fin juillet, on pratiquait une deuxième coupe de regain, en procédant comme pour le foin. L'herbe était moins haute et moins fournie, ce qui, pour le séchage, compensait la rosée du matin.                                                        A partir du 15 Août, avant les vendanges et les semailles, on coupait le roux, ce solide roseau croissait sur les parties les plus basses des îles. Ainsi, c'est, en amont de Paimboeuf qu'on trouvait le plus gros roux. Pour couper le roseau, on utilisait une faucille à roux, forgée avec une mise d'acier sur le fil, portant imprimé en creux, le nom de l'artisan local qui l'avait fabriqué. Aussi, les jambes du fermier étaient protégées par des chaussures d'étoupe blanche. Ces chaussures étaient fixées au dessus des genoux par un lien d'herbe torsadé et bouclé, sur lequel on rabattait le haut de la tige.    L'exploitation du roux se faisait souvent sur des parcelles de pré non délimitées. Avec la faucille dans la main droite, on coupait en ramenant vers soi la valeur d'une javelle qu'on enveloppait du bras gauche. Après un ou deux coups d'apattement, la javelle était posée sur le sol. Ensuite elle était torsadée puis séchée. Ce travail était pénible, d'autant qu'en août il faisait chaud. Le soir, on relevait les javelles en piles de 200, suffisamment grosses pour résister au vent, et assez petites pour que le roux sèche un peu. Pour le roux on était moins pressé que pour le foin, les javelles supportaient la pluie.                                                                                                                                                                            On achevait le cycle des travaux sur les îles en coupant l'osier planté sur certaines berges. Cet osier, de couleur verte était plus gros mais moins flexible que l'osier jaune de la terre ferme. Plus difficile à torsader, il faisait d'excellents liens pour les fagots de bois ou les paquets de sarments. Les petits brins étaient utilisés pour la confection ou la réparation des paniers et des balles très utilisés à la ferme. Les agriculteurs de Basse Loire produisaient également du vin et du blé, mais consacraient la plus grosse partie de leur activité à l'engraissement du bétail sur les îles.

     En automne, on faisait également paître les animaux. A cette époque les prés étaient désespérément secs, on mettait aussi les vaches laitières sur les îles les plus proches, et les femmes traversaient la Loire en plate pour faire la traite des animaux. En général elles s'y rendaient deux fois par semaine pour voir l'état des bêtes et s'il n'en manquait pas une.    Depuis quelques décennies, de nombreuses îles sont rendues incultes en raison des aménagements de l'estuaire. Aujourd'hui, les agriculteurs ne cultivent plus ces îles pour leurs travaux agricoles.

Le calendrier des travaux sur les îles

SAISON

ACTIVITÉS

Hiver

Entretien des douves

1ère quinzaine de juin

Saison des foins – Moisson

Début Juillet

Fenaison – Séchage du foin

Fin Juillet / Début Août

2ème coupe – Regain

15 Août

Coupe du roux / roseau

Fin Août

Coupe de l'osier

Début Septembre

Vendanges