De la grèce antique à l'époque contemporaine, Gaëlle Dauphin, nous propose un parcours sur l'évolution de la scénographie, à travers le prisme du développement de l'opéra
Gaëlle Dauphin diplômée d'architecture intègre en 2007 l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes, obtenant ainsi en 2010 le D.P.E.A. de scénographie. Elle a travaillé depuis avec Alain Françon sur Les Bas-fond de Gorki produit à l'E.N.S.A.T.T, qu'elle retrouve comme assistante à la scénographie sur Les Trois sœurs à la Comédie Française. Récemment elle réalise la scénographie de T.I.N.A. - There Is No Alternative, création de la Compagnie Cassandre soutenue par le dispositif du compagnonnage.
Les illustrations jointes à ce texte sont des hypothèses personnelles. L'iconographie existante étant extrêmement réduite, aucun document consulté ne permet d'affirmer leur fidélité historique.
Le développement de l'opéra entre le XVIe et le milieu du XVIIIe siècle a eu des répercutions majeures sur nos salles de spectacle modernes et par conséquent sur la scénographie contemporaine.
la grèce antique
Il faut remonter jusqu'à la Grèce Antique, époque où l'on donne de premières représentations, mêlant chant, texte parlé et danse, pour trouver les origines communes du théâtre et de l'opéra. La première illustration présente la morphologie des sites que l'on choisit alors pour ces représentations. Dès le VIe siècle, on installe des bancs destinés au public sur le flanc d'une colline en forme d'amphithéâtre. Le centre de cet amphithéâtre est réservé à l'orchestra : la piste où le chœur évolue, au milieu de laquelle se dresse la thymélée : l'autel dédié à Dionysos. Le public est installé face à un podium en longueur : le proskénion, large de trois mètres, qui longe une construction : la skéné, percée de trois portes. De chaque côté du podium se trouvent les parodoï - pluriel de parodos-, chemins d'accès du chœur à l'orchestra. L'endroit où sont assis les spectateurs porte le nom de theatron, qui signifie en grec : « endroit d'où l'on voit ». Les spectacles sont interprétés par un à trois acteurs, jouant sur le proskénion, et par le chœur, personnage collectif mené par le coryphée, leur répondant de l'orchestra. Le décor de ces représentations est alors simplement la façade de la skéné. Bientôt on recouvre cette cabane, qui sert de coulisses et de lieu de rangement du matériel scénique, de peaux peintes ou on lui adosse des panneaux de bois décorés.
La musique et le chant agrémentent la représentation. Les interprètes jouent successivement devant chaque décor et le public suit l'évolution de l'action en se déplaçant de mansion en mansion en même temps que les acteurs. C'est ce que l'on appelle une scène simultanée : tous les décors de toutes les scènes sont simultanément sur l'estrade -contrairement à la scène successive où l'on donne à voir aux spectateurs les décors de la pièce les uns après les autres-.
Parallèlement à ces spectacles religieux, on organise également de grandes fêtes populaires à l'occasion d'une naissance, d'un mariage important ou de la visite de quelque personnalité. Toute la ville participe à ces réjouissances. Les figurants sont nombreux, les costumes somptueux, il y a des chants, de la danse, de la musique, des apparitions aériennes, des vols -des comédiens en costume d'anges survolent la foule grâce au même principe que le deus ex machina grec, on construit des décors que l'on peint en imitant la réalité et que l'on manipule à l'aide de la machinerie *1, on installe des mannequins à taille humaine dans les endroits les plus improbables, toujours plus haut.
Tous ces spectacles sont assez semblables en France, en Italie ou en Angleterre. Leurs composantes sont à l'origine du ballet et de l'opéra.
la renaissance et les humanistes italiens
Naissance de l'opéra
L'opéra est une forme musicale qui naît à la fin de la Renaissance italienne. Elle est le fruit des recherches du mouvement musical et culturel appelé la Camerata fiorentina qui, de manière lapidaire, cherche à retrouver les origines grecques de la musique.
Naturellement pour représenter des tragédies issues du monde Antique : les premiers opéras donc, les architectes humanistes italiens ont l'idée de construire des théâtres, eux aussi, à l'Antique.
D'un point de vue scénographique, l'opéra se caractérise alors par les apparitions et les changements à vue.
En effet, jusqu'au XIXe siècle, on ne baisse pas le rideau entre les actes et les changements de décor se font à la vue du public, qui vient à l'opéra en partie pour ce moment. Au coup de sifflet du chef machiniste, tout le lieu entre en mouvement et, dans de nombreux craquements de la charpente, le décor du premier acte laisse place à celui du second. C'est un moment qui impressionne toujours beaucoup le public, pourtant le système en est très simple. Les châssis de décor *2 du premier acte sont montés sur des chariots, eux-mêmes guidés dans des rails - appelés costières : simples espaces vides dans le plancher-. Les châssis de décor de l'acte II sont également sur des chariots, dans un rail, dix centimètres derrière le premier, ils patientent en coulisses. Lors du changement de décor, on sort les châssis de l'acte I pendant que l'on rentre les châssis de l'acte II. Ce procédé a une conséquence majeure : pour que l'ensemble fonctionne, les châssis de décor doivent tous être parallèles les uns aux autres.
Le plateau de la scène se retrouve donc divisé en différents plans successifs par les rails nécessaires au déplacement des chariots. Cet ensemble possède son vocabulaire spécifique. L'espace entre deux costières est appelé fausse rue, celui entre deux fausses rues : rue. L'ensemble rue/fausse rue s'appelle un plan (Illustration n°7).
Fréquemment des apparitions célestes concluent les spectacles. Leurs interprètes sont installés dans des nacelles qui attendent dans les cintres et sont descendues au moment opportun, parfois dans des trajectoires très sophistiquées. Cela a une lourde conséquence sur le décor. Jusqu'ici on représentait les toits des maisons sur les châssis de décor et le ciel les surplombant sur une toile peinte tendue horizontalement, voir directement sur le plafond de la scène. Or, la nécessité de laisser descendre les nacelles des cintres oblige à abandonner les toiles de ciel au profit de plusieurs bandes verticales successives : les frises. Leur fonction première est de cacher les nacelles en attente et l'équipement des cintres.
Tous ces éléments constituent les salles de théâtre à l'italienne dans lesquelles on joue encore de nos jours.
Les premières salles françaises
En 1645, l'opéra italien est introduit en France par Mazarin, grand amateur de ce style musical. Il fait venir le machiniste Torelli et sa troupe pour donner la FintaPazza de Strozzi dans la salle du Petit-Bourbon. Durant la représentation, le public assiste, enthousiaste, aux nombreux changements de décor et aux multiples effets de machinerie. Les premières salles équipées pour les représentations de tragédie lyrique sont alors construites à Paris. Jusqu'à cette date, les pièces à machines étaient rarement données en France car il n'existait pas encore de salle aménagée spécialement à cet effet.
C'est Adolphe Appia, scénographe et metteur en scène, qui impulse cette transformation et fait passer les décors de la 2D à la 3D et évoluer le décor vers la scénographie. C'est aussi lui qui, à la fin du XIXe siècle, invente la fonction de metteur en scène d'opéra, rôle jusqu'ici tenu par un régisseur s'assurant du respect des didascalies *5 de l'auteur. C'est désormais le metteur en scène qui assurera la charge de l'image et le scénographe deviendra son compagnon indispensable.
Depuis ce temps, beaucoup d'évolutions ont eu lieu. Nombre d'entre elles furent d'ordre esthétique, mais certaines expériences conduisirent à de nouvelles architectures théâtrales. Parfois utopiques comme le théâtre sphérique - qui permet de rompre avec le point de vue unique du spectateur, ces expériences menèrent également à de nouvelles salles dites transformables - parmi lesquelles le Lieu Unique à Nantes, la salle 400 du Nouveau Théâtre d'Angers - qui unifient scène et salle. Cependant, les premières scènes mises au point pour servir l'opéra continuent d'accueillir et de conditionner grandement les créations des scénographes modernes, bien qu'on puisse regretter la perte du savoir-faire de l'époque et la sous utilisation de ses équipements. Les théâtres à l'italienne ont du s'adapter aux exigences modernes, mais ils continuent de permettre encore et toujours les changements de décor.
*1 Machinerie : ensemble des appareils qui permettent d'effectuer les changements de décor et tous les mouvements sur le plateau.
*2 Châssis de décor : toile peinte décorative tendue sur un cadre en bois.
*3 Dessous : partie de la cage de scène qui se trouve au-dessous du plateau.
*4 Châssis géométraux : châssis implantés perpendiculairement de l'axe longitudinal du plateau, soit face au public.
*5 Didascalies : notes de l'auteur à l'intérieur de son œuvre, à l'attention de l'équipe artistique donnant des indications de mise en scène et/ou de jeu