Il reste donc beaucoup à faire à qui veut écouter la voix du terrain
CREATIVITE ET ACTIVITES ARTISTIQUES - ARTS VISUELS
Définition et objectifs
La proposition de définition « arts visuels » relevant d'un copier-coller (quasi) intégral du site Wikipédia, ce que Marcel Duchamp aurait intitulé un « ready-made modifié », se veut pour le moins approximative .Car si il est question, dans le programme, de « champ élargi » que penser dès lors de l' oubli de la vidéo comme du design ? Ce dernier étant, à l'heure actuelle, en matière « d'échanges dynamiques » l'un des exemples les plus significatifs de la porosité fertile entre les « disciplines ».Faut-il relier cet état de fait au caractère scientifique peu avéré dudit site ? Cette impasse lexicale n'apparaît point dans les programmes officiels de 2008 pour l'Ecole Maternelle (les 3 sections).
Il y aurait, par ailleurs et en l'espèce, quelque incongruité à privilégier, avec les élèves, l'étude d'objets des « créateurs d'art » (exemple 8 des contenus) pour « interroger une culture du visuel en phase avec ses manifestations les plus contemporaines » et ce sans me prévaloir d'un quelconque jugement de valeurs esthétiques. S'il s'agit de proposer un « parcours au cœur des réalités » du domaine de l'image ; il ne saurait y avoir d'exclusives sinon d'oublis dommageables quant à la visée exploratrice de production d'objets artistiques.
Le deuxième point renvoie à la place de la pratique artistique dans les objectifs assignés aux « arts visuels ». L'élève « s'essaie à des expériences de pratique artistique » ; de fait c'est dans cette (timide) tentative de fabrication être oublieux de son cursus de collège et de ses « expériences » proposées dans le cadre des nouveaux programmes. Plus largement cette mention à minima de la pratique réduite à une activité (ludique), laisse entendre le manque d'articulation efficiente entre collège et lycée au nom d'un projet exploratoire et inédit des « arts visuels ».
L'introduction du terme « arts visuels » dans les textes officiels, date de 2001 ; Mr Pierre-Jean Galdin (Conseiller pour les Arts Plastiques auprès du Ministre et membre de la Mission Mollard pour les arts et la culture) à cette occasion souligne l'importance, avec ce nouveau champ élargi, d'aborder la question de l'éducation à l'image par la pratique artistique.
Le propos actuel donc n'est pas nouveau mais par le peu d'attention portée au couple exploratoire pratique-culture repoussé à la marge dans le cadre des options facultatives, il révèle une notoire ambigüité quant à sa finalité éducative.
Ce même propos fait aussi l'impasse sur l'existence actuelle des classes de détermination Arts (Arts Plastiques entre autres), vivier important des sections littéraires de Première et de Terminale voire dernier rempart d'une suppression programmée, faute d'effectif.
Soulignons enfin que le cas d'élèves ayant suivi l'option facultative et intégrant une Première littéraire a toujours été mineur.
Pourquoi donc cette brutale disparition, de formations qui ont fait et font leurs preuves, dans le temps hebdomadaire de l'élève ?
Qui plus est la carte, récemment publiée, des enseignements exploratoires « créativité et activités artistiques » par académie confirme les implantations actuelles, sans ouverture nouvelle notoire.
J'aimerais donc connaître la logique à l'œuvre mais je crains de trop bien lire entre les lignes.
Enfin et surtout, comment former et rendre capable un(e) élève de 15 ans, « de se repérer et s'orienter sur les terrains concrets de la poursuite d'études comme de l'insertion professionnelle » en 54 h/année ?
Question complexe livrée à mes collègues pour se mettre en phase avec l'annonce largement médiatisée d'une revalorisation de la filière littéraire sur le mode du « rééquilibrage entre les différentes séries ».
Compétences, Mise en œuvre, Exemples de contenu
Dans le droit fil de ce qui vient d'être dit et particulièrement à propos de la partie pratique artistique nullement comprise, là comme « lieu d'émergence » d'une singularité voire comme processus actif pour développer un champ des possibles, la question des compétences attendues et développées pose problème
Si la moitié des critères reconduisent des attentes connues mais pour une pratique à minima ; il me parait par contre illusoire d'énoncer des critères de compétences qui se posent comme instrument de mesure mécanique et de demande de mise en conformité avec les attendus d'informations du programme pour un présupposé souci juste, varié et adapté d'orientation vers les métiers de l'image et donc pour « apprendre à se projeter lucidement dans l'avenir ».
Tout ceci laissant entendre que ces 54 h / année de terrain et autres visites seront plus efficaces qu'une ou deux entrevues avec le Conseiller d'Orientation ; les missions changent ainsi de main vers les uns au risque de la disqualification et de ses dommages collatéraux qui s'y rattachent pour les autres.
Qui plus est comment évaluer ces visites-moments d'information ( à répartir dans les 54 heures allouées) pour mieux accompagner l'élève dans ses choix futurs ?
Ces moments (exemplifiés) sont conçus et proposés en lieu et place de dispositifs didactiques éprouvés, validés et acquis à l'idée d'apprentissages concrets et durables pour une construction progressive de la personnalité et de l'autonomie de chacun(e).
Ces moments donc ne relèvent point, loin s'en faut, des principes de l'évaluation formative et sommative mais de la validation de l'information reçue ; information que nous avons d'ailleurs toujours donné et selon des modes divers, alliant « formes et lieux ».
Il est par ailleurs symptomatique de souligner l'absence dans la liste des exemples de « lieux » à vivre des FRAC(S), la pertinence et la variété de leurs missions faisant pourtant référence incontournable pour l'Institution Scolaire ; ainsi déjà en 2001 Mr Pierre-Jean Galdin s'en fit l'écho.D'évidence donc ce déni de l'existant Institutionnel n'est pas sans rappeler celui lié à nos classes de détermination.
Enfin la liste des exemples relève plus du prêt à penser et à faire qu'à une quelconque souci de formation ; les recommandations de réalisations renvoient plus à l'idée d'illustrer une activité, un compte-rendu de vécu mais hélas ces réalisations proposées n'ont pas grand commerce à partager avec une véritable didactique du fait artistique, de ses enjeux, de son aventure problématisée, de ses fertiles errances...ces « moments de création » qui dessinent en creux de futurs projets de vie et qui font partie, aussi, de notre quotidien de professeur d'arts plastiques et fin connaisseur des « arts visuels »...mais à envisager selon des modalités d'enseignement claires, créatives et ouvertes dans la forme comme dans le fond.
Il reste donc beaucoup à faire à qui veut écouter la voix du terrain.
OPTION FACULTATIVE "ARTS PLASTIQUES"
Définition et objectifs
Pour partie on retrouve les différents points essentiels des anciens programmes mais l'opération de toilettage s'est doublée d'une compréhension (presque) univoque de la pratique artistique entendue là comme principalement technicienne, du « passage progressif du tâtonnement à la maîtrise » mais faisant fi des visées créatives, exploratrices du processus artistique. Ce retour partiel à un enseignement techniciste est à entendre avec les modèles de l'action rationnelle et de l'action à visée normative sinon avec le propos définitif avancé plus loin, dans le texte du programme : «L'homme se représente l'objet de l'art avant de le produire. Il n'y a pas d'art sans cette faculté d'anticipation ».A l'évidence cette pensée singulière innerve grandement la philosophie de ce projet de programme mais « s'éprouve » difficilement en regard d'un propos remarquable d'Alberto Giacometti, en 1952 :
« Je travaille tout le temps ! Ce n'est pas par volonté, mais parce que je n'arrive pas à décrocher. Ma peinture et ma sculpture ne peuvent jamais être qu'un échec, mais le fait de réussir ou de rater n'a plus aucun sens. Si je fais de la sculpture, c'est pour m'en défaire...D'une certaine manière, je n'ai jamais commencé.» cité dans le catalogue d'exposition « Alberto Giacometti » Fondation Maeght, 1978
Programme
Si l'on renoue, pour une partie notoire, avec la série des compétences attendues et à développer ; il en va tout autrement pour les deux autres volets liées aux contenus de ces dits programmes. Le préambule fait la part belle aux « formes idéales » de l'objet, tapies dans la conscience de tout un chacun et qui viendraient se matérialiser tout aussi idéalement selon « une action volontaire »..serait-ce, là faire retour à une conception du « Beau Idéal » volontariste, désincarné et consigné dans un certain nombre de règles et autres préceptes à suivre et à reproduire ?
C'est surtout faire peu de cas de l'expérience de terrain qui nous échoit et qui en l'espèce pourrait se résumer à constater la présence d'un certain nombre de stéréotypes formels en lieu et place des présupposées « formes idéales ». L'éducation (contemporaine) du regard repose sur un double processus de désintoxication (dans le sens de formes toxiques) et de re-construction-restitution ouvertes de sa propre réalité (celle de l'élève en l'occurrence), réalité qui ne saurait se limiter aux seules apparences extérieures, à sa seule « maîtrise » illusoire sinon illusionniste.
« J'ai travaillé devant le modèle chaque jour de 1935 à 1940. Rien n'était tel que je l'imaginais. Une tête ( je laissais de côté très vite les figures, c'en était trop) devenait pour moi un objet totalement inconnu et sans dimensions. Deux fois par an je commençais deux têtes, toujours les mêmes sans jamais aboutir. » Alberto Giacometti, 1940, cité dans le catalogue d'exposition « Alberto Giacometti » Fondation Maeght, 1978
Pourtant l'enseignement proposé à la consultation flirte avec de semblables visées.
La proposition de programme repose sur deux questions en couple entretenant des « rapports de contigüité » ; on pense alors à cette contigüité de cultures différentes évoquée par Marcel Proust mais le contenu du premier couple (dessein-dessin) laisse entendre tout autre chose, se révèle pour le moins problématique voire oublieux des avancées didactiques de notre discipline.
En fait de quel dessein de formation s'agit-il ? De quel dessin parle-t-on ? « savoir dessiner est une demande vive chez l'élève de cet âge, et c'est aussi une inquiétude. ». Quelle est la nature de cette présupposée inquiétude ? faire ressemblant ? se rassurer, être rassuré avec une production réaliste maîtrisée techniquement, suite à un apprentissage laborieux et obstiné ? la réponse est donnée dans la 2ème question de la matérialité de l'oeuvre : « l'élève doit cependant acquérir des maîtrises techniques, un ensemble de règles, de procédés, permettant d'élaborer l'objet. La pratique s'apprend (dans le temps) grâce à des exercices variés et répétés qui permettent de progresser »
Qu'entend-on par progrès, à cet endroit et plus largement en Arts Plastiques? que dire dès lors de l'oeuvre de Picasso, celle développée dans les années 1960 et raillée à l'époque ? « progrès » ou régression sénile ? La postérité a tranché.
Dès lors oui, il serait essentiel de faire réfléchir les élèves sur l'attente de Matisse du « grand progrès » ( H.Matisse, lettre à A.Rouveyre, 31 mars 1943) , date à laquelle s'amorce la période (dite de mutation par Pierre Schneider) des gouaches découpées et des grandes décorations.
Le propos global de cette proposition de programme est d'évidence paradoxale dans ses visées, ses contenus et peu à l'écoute, tout autant, des Programmes Officiels délivrés précédemment pour d'autres niveaux.
Ainsi quant aux programmes de l'Enseignement Primaire de 2008, il est clairement spécifié s'agissant de la place du dessin (auquel les dits programmes assignent un rôle clef) que dès le CE1 ses fonctions glissent du chapitre « d'instruments à apprendre » à celui relatif à « la sensibilité, l'imagination, la création », dont acte !
Il serait donc totalement absurde d'envisager d'autres projets éducatifs que la découverte et la compréhension de la diversité de l'aventure graphique, à un âge où se fossilisent non point les « formes idéales » mais plus largement les représentations et ses effets de « réel » livrées par les médias de tous ordres.
Certes les nostalgiques avanceront que « le dessin est la probité de l'art » mais à quoi bon sinon à faire l'impasse sur l'humeur du temps présent et surtout à ne pas comprendre ce qui se dess(e)inait paradoxalement dans le propos d'Ingres, l'un des vecteurs essentiels de la Modernité , la « mémoire vive » de Picasso.
En définitive si comme il est écrit justement que : « La culture et la pratique ne sont pas à dissocier ni à considérer successivement. Elles sont constamment articulées. Il s'agit d'offrir des sources dans lesquelles puiser, proposer des champs de connaissance qui vont nourrir l'imaginaire des élèves. ». Il s'agit aussi de se garder des affinités électives par trop sujettes à caution.
Bernard Descourvières, lyçée La Colinière, Nantes