Espace pédagogique

Le terme "art contemporain" fait-il peur ?


A propos de l'enseignement d'exploration"arts visuels"


1)
Concernant les objectifs généraux, si les choses restaient en l'état - ce que je ne souhaite pas, comme l'ensemble de mes collègues professeurs d'arts plastiques de lycée - il serait bon, pour éviter tout malentendu, de transformer l'intitulé de l'enseignement d'exploration tel qu'il est formulé actuellement.
En effet, les termes création et activités artistiques induisent une dimension résolument pratique alors que celle-ci semble réduite à la portion congrue dans le projet de nouveau programme. Si le contenu de cet enseignement d'exploration élude pour ainsi dire la pratique artistique (même si cette dimension est évoquée dans le projet actuel : l'élève s'essaie à des expériences de pratique artistique ), pourquoi ne pas l'intituler plutôt découverte des métiers associés aux arts visuels ? Cela aurait au moins le mérite d'être clair et permettrait de ne pas introduire de fausses représentations dans la tête des futurs élèves et de leurs parents. Mais dans le même temps, qu'adviendrait-il de la didactique d'une discipline telle que les arts plastiques si elle se résumait essentiellement à faire découvrir des métiers de la culture et des arts et à construire un projet de formation relié à un horizon professionnel ?


2) enjeux et objectifs
De l'œuvre et l'image (programme d'arts plastiques de seconde, en vigueur depuis 2001), on est passé (dans le nouveau projet) à l'image seule, abandonnant au passage l'œuvre.
Dans le projet de programme de cet enseignement d'exploration, les arts plastiques disparaissent au profit de l'étiquette arts visuels .
Il me semble pourtant nécessaire de conserver l'appellation arts plastiques , qui caractérise depuis plus de trente ans la pratique des arts au lycée. Pourquoi disparaîtrait-elle au profit d'un terme à la fois générique et réducteur, celui d'arts visuels, dont la définition flottante et peu explicite ( les arts visuels produisent des objets artistiques essentiellement perçus par l'œil du spectateur ) exprime davantage la distance visuelle qui nous sépare de l'œuvre ou de son image plus que les liens matériels qui nous relient à la création de formes ? Les arts visuels et les arts plastiques révèlent deux postures de nature différente.
Une pratique artistique, effective et engagée, doit être remise au cœur du dispositif pour cultiver l'artistique dans l'enseignement et afficher explicitement l'intention d'être au plus près de la question de l'art, comprise comme création artistique, [en cultivant] la pratique comme lieu d'émergence (Gilbert Pélissier, in L'artistique : arts plastiques, art et enseignement, CRDP de l'Académie de Créteil, 1997).
La démarche de type exploratoire , qui fonde, en partie, l'enseignement et la pratique des arts plastiques au lycée dans leur cadre actuel, aurait naturellement sa place dans un enseignement dit d'exploration .


3)
Concernant les compétences sollicitées et développées, je remarque que les compétences relatives à la pratique artistique se réduisent à peau de chagrin au regard des autres compétences attendues. La découverte des métiers de l'image et les enjeux sociaux et économiques sont désormais privilégiés...


4) & 5)
Concernant la mise en œuvre et les exemples de contenus, je ne reconnais pas mon domaine de compétences dans la longue liste des huit exemples cités. Ils me sont, pour ainsi dire, étrangers et inadaptés. En tant que professeur d'arts plastiques, qui œuvre avec ses élèves pour qu'ils comprennent les enjeux de la création artistique contemporaine dans le cadre d'une stratégie pédagogique fondée sur la pratique, comment pourrais-je enseigner la discipline pour laquelle j'ai été formé si celle-ci perd ses contours en s'étendant aux métiers de la création au sens large du terme, mêlant aussi bien les arts graphiques que l'économie du cinéma, la critique et les festivals, l'artisanat ou la restauration des œuvres ?

Etrangement, les centres d'art contemporain n'ont pas été retenus. Ils sont pourtant bien répartis sur l'ensemble du territoire. Peut-être parce que le terme art contemporain fait peur désormais, dans ce qu'il contient d'imprévisible et de formes singulières, alors qu'il a été l'une des clés de voûte de l'enseignement des arts plastiques durant des années, avec des résultats manifestes dans la formation des élèves (et leur construction en tant qu'individu).
Il me semble intéressant d'envisager une relation partenariale avec un établissement de référence (en l'occurrence un centre d'art contemporain) mais seulement si j'ai recours à un temps de pratique réflexive, de retour en classe ou avant la visite d'une exposition, qui soit au moins équivalent à 1h30 hebdomadaire. Ce qui permettrait aux élèves d'ancrer plus intimement leurs connaissances. Cela leur permettrait aussi de mieux comprendre les enjeux de l'exposition, au-delà de la découverte des métiers en lien avec ce partenaire culturel (commissariat dexposition, régie, médiation culturelle, entre autres).

C'est la raison pour laquelle il est plus que jamais nécessaire d'inscrire 1h30 de plus dans le cadre de l'enseignement d'exploration, appelé pour l'heure Création et activités artistiques . Ce qui ferait un total de 3h dans le cadre de cet enseignement d'exploration au même titre que les langues et cultures de l'Antiquité, latin ou grec ou la LV3 étrangère ou régionale avec une part découverte des métiers (qui est un objectif au demeurant louable) et une autre part consacrée à la pratique artistique, connectée aux questionnements révélés par les œuvres dans le cadre de projets gravitant autour d'une ou plusieurs expositions par exemple.


Daniel Sage, lycée Camille Claudel, Blain (Loire-Atlantique)