Espace pédagogique

Les arts visuels sont-ils le moyen ou l’objet dudit enseignement ?


Je constate déjà que l'intitulé de « l'œuvre et l'image » a été supprimé pour pouvoir s'inscrire autrement dans les arts visuels de l'enseignement exploratoire et inclure ainsi arts plastiques et cinéma.

Concernant le nouvel enseignement "arts visuels":

Je distingue clairement un enseignement d'arts plastiques, basé sur le processus de création mené par l'élève, d'un enseignement exploratoire dont l'objet d'étude théorique est l'œuvre d'art émanant d'artistes professionnels (Beuys va se retourner dans sa tombe!) mais qui reste extérieur à l'élève. L'élève aura à observer et communiquer, non à créer.
L'expression « arts visuels » semble du coup prêter à confusion : sont-ils le moyen ou l'objet du dit enseignement ?

Partant de cette distinction, la question est de savoir si on valide le principe et l'intérêt d'un enseignement de communication visuelle en art. Le projet mené par les élèves relève essentiellement de la diffusion et de la communication par l'image (affiche, reportage, scénographie d'une expo, création d'un site internet, illustration).

Je ne suis pas contre, dans la mesure où je pense que cela peut avoir un réel intérêt pour les élèves d'aujourd'hui qui utilisent la communication sans s'interroger sur ses modalités.

Mais il me paraît alors essentiel de s'interroger sur la nature bien spécifique de ce sur quoi on veut communiquer : l'œuvre d'art d'un autre. Pour en comprendre l'enjeu, la fragilité et la force, la part insondable et non communicable justement, la dimension artistique donc, une formation du regard (qui passe on le sait en grande partie par la culture et la pratique soi-même de la création), de l'esprit (philosophie de l'art, écrits de critique, écrits d'artistes) et de la sensibilité (là encore pratique de la création...) me semblent devoir se combiner.1h30 en seconde : voilà où le bât blesse.
Le risque est de faire de la communication visuelle sur un objet artistique perçu dans sa seule dimension visuelle, et non artistique. Le terme d' « activité autour de la création » renverse et rend visible ma lecture de ce programme.

Du coup la question est de savoir si la priorité dans la formation des élèves pour les années à venir est celle-ci. Sans nuance, je dirai que le mal dont souffre le plus nos élèves aujourd'hui est qu'ils ne savent pas ce qu'ils désirent. Parfois la rencontre avec des adultes extérieurs qui affirment leur désir, leur passion les aide par mimétisme, fascination, identification. Et cela a toujours existé. Mais peut-être que la création elle-même menée dans le cadre du cours, avec un enseignant en art qui écoute, regarde, valide, donne confiance à un élève qui tâtonne, hésite, ose à peine est bien plus constructeur dans son parcours de formation et d'orientation justement.
La différence ? La prise de risque. Dans  « création et activités artistiques en Arts visuels », les élèves ne se risquent à rien, exactement comme dans la consommation culturelle. Donc pas d'enjeu intime qui permettrait d'avancer sur une connaissance de soi, une affirmation de soi, un dépassement de soi qui fait grandir. Par contre la possibilité de rencontres avec des artistes, des adultes engagés passionnés peut être décisive. On le fait déjà dans le cadre de nos partenariats à vrai dire (rencontres de bénévoles passionnés et d'artistes), mais en lien avec la pratique des élèves, et sans avoir à faire de la communication visuelle sur cette rencontre (un compte-rendu en classe permet de synthétiser ce qui les a marqués).


Concernant l'option facultative :

Je comprends bien l'articulation entre les deux parties du programme (dessein-dessin, matérialité-matériau) qui me semblent pertinentes l'une au regard de l'autre.
Je pense par contre que c'est plutôt cet enseignement qui permettra d'atteindre les objectifs d'orientation en fin de seconde et non celui de l'enseignement exploratoire en arts visuels. Ou bien il faudrait considérer ces deux enseignements dans une articulation indissociable, ce qui n'apparaît pas du tout acquis à la lecture des textes officiels.

Il faut bien sûr signaler, qu'indépendamment du contenu, ce sont les modalités de l'option qui change considérablement la situation. Le danger que je tiens à souligner particulièrement dans cette consultation est que l'option est reléguée en enseignement facultatif, présupposant que :
  • Les élèves qui souhaitent poursuivre non pas en option facultative mais de spécialisation en 1ère, devront comprendre, que contrairement à l'EPS, au Latin, aux Arts du cirque, aux Arts appliqués, ils doivent passer par un enseignement facultatif en seconde en plus de leur 28h30 par semaine. Ce seront donc des élèves très informés et très motivés, alors même qu'ils ne connaissent cet enseignement que par leur expérience d'1h par semaine en collège.
  • Les élèves de 3ème toujours très informés, motivés et travailleurs apprécieront que cet enseignement exigeant ne portera pas uniquement sur de la pratique mais sera aussi soumis à une évaluation de connaissances théoriques etL'enseignement n'aura pas lieu le mercredi après-midi pour s'offrir à toutes les classes de seconde. (L'enseignement des arts plastiques en facultatif est souvent sur ce créneau horaire, regroupant même plusieurs niveaux aujourd'hui. Dans un lycée rural où le passage des bus s'arrête à 12h le mercredi, cela signe la fin des options facultatives.)
  •  Les élèves seront donc regroupés dans une ou deux classes alors même qu'ils doivent être aussi regroupés aussi en fonction de leurs langues vivantes, et de leurs enseignements exploratoires d'un autre domaine qu'artistique.
  • Tous les chefs d'établissement sont des militants passionnés d'enseignement artistique qu'ils défendent par un emploi du temps qui maintient ces options dans l'emploi du temps des élèves regroupés dans des classes homogènes permettant une pédagogie ouverte aux partenariats (sortie-rencontre-voyage).

Derrière cette ironie, on peut comprendre que l'heure n'est pas tant à la consultation du contenu de cette option, mais à la discussion quant à sa place dans l'horaire des élèves, au vu des profils d'élèves que nous « recrutons », et des passages délicats et souvent douloureux  de la 3ème à la 2nde et de la 2nde à la 1ère. L'enseignement des Arts plastiques permet à beaucoup d'élèves au cours de classe de seconde de se révéler (la transformation de leur qualité de présence en est un signe remarquable), mais ils ne peuvent pas le savoir en fin de 3ème. Leur demander de faire le choix de cette option facultative de 3h en plus de leur horaire dès la 3ème le présuppose.

F. Delannet, Lycée Lavoisier, Mayenne