La circulaire d'application de la Loi sur la Laicité [18 mai 2004]
J.O n° 118 du 22 mai 2004 page 9033
Décrets, arrêtés, circulaires
Textes généraux
Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur
et de la recherche
Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en oeuvre de la loi n°
2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité,
le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans
les écoles, collèges et lycées publics
NOR: MENG0401138C
Paris, le 18 mai 2004.
Le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur
et de la recherche à Mesdames et Messieurs les recteurs d'académie,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs d'académie, directeurs des services
départementaux de l'éducation nationale
La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité,
le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans
les écoles, collèges et lycées publics, marque la volonté
très largement partagée de réaffirmer l'importance de ce
principe indissociable des valeurs d'égalité et de respect de
l'autre. Elle témoigne de la volonté des représentants
de la Nation de conforter l'école de la République.
La présente circulaire précise les modalités d'application
de la loi du 15 mars 2004. Elle abroge et remplace la circulaire du 12 décembre
1989 relative à la laïcité, au port de signes religieux par
les élèves et au caractère obligatoire des enseignements,
la circulaire du 26 octobre 1993 sur le respect de la laïcité, et
la circulaire du 20 septembre 1994 relative au port de signes ostentatoires
dans les établissements scolaires.
I. - Les principes
La loi du 15 mars 2004 est prise en application du principe constitutionnel
de laïcité qui est un des fondements de l'école publique.
Ce principe, fruit d'une longue histoire, repose sur le respect de la liberté
de conscience et sur l'affirmation de valeurs communes qui fondent l'unité
nationale par-delà les appartenances particulières.
L'école a pour mission de transmettre les valeurs de la République
parmi lesquelles l'égale dignité de tous les êtres humains,
l'égalité entre les hommes et les femmes et la liberté
de chacun y compris dans le choix de son mode de vie. Il appartient à
l'école de faire vivre ces valeurs, de développer et de conforter
le libre arbitre de chacun, de garantir l'égalité entre les élèves
et de promouvoir une fraternité ouverte à tous. En protégeant
l'école des revendications communautaires, la loi conforte son rôle
en faveur d'un vouloir-vivre-ensemble. Elle doit le faire de manière
d'autant plus exigeante qu'y sont accueillis principalement des enfants.
L'Etat est le protecteur de l'exercice individuel et collectif de la liberté
de conscience. La neutralité du service public est à cet égard
un gage d'égalité et de respect de l'identité de chacun.
En préservant les écoles, les collèges et les lycées
publics, qui ont vocation à accueillir tous les enfants, qu'ils soient
croyants ou non croyants et quelles que soient leurs convictions religieuses
ou philosophiques, des pressions qui peuvent résulter des manifestations
ostensibles des appartenances religieuses, la loi garantit la liberté
de conscience de chacun. Elle ne remet pas en cause les textes qui permettent
de concilier, conformément aux articles L. 141-2, L. 141-3 et L. 141-4
du code de l'éducation, l'obligation scolaire avec le droit des parents
de faire donner, s'ils le souhaitent, une instruction religieuse à leurs
enfants.
Parce qu'elle repose sur le respect des personnes et de leurs convictions,
la laïcité ne se conçoit pas sans une lutte déterminée
contre toutes les formes de discrimination. Les agents du service public de
l'éducation nationale doivent faire preuve de la plus grande vigilance
et de la plus grande fermeté à l'égard de toutes les formes
de racisme ou de sexisme, de toutes les formes de violence faite à un
individu en raison de son appartenance réelle ou supposée à
un groupe ethnique ou religieux. Tout propos, tout comportement qui réduit
l'autre à une appartenance religieuse ou ethnique, à une nationalité
(actuelle ou d'origine), à une apparence physique, appelle une réponse.
Selon les cas, cette réponse relève de l'action pédagogique,
disciplinaire, voire pénale. Elle doit être ferme et résolue
dans tous les cas où un élève ou un autre membre de la
communauté éducative est victime d'une agression (qu'elle soit
physique ou verbale) en raison de son appartenance réelle ou supposée
à un groupe donné.
Parce que l'intolérance et les préjugés se nourrissent
de l'ignorance, la laïcité suppose également une meilleure
connaissance réciproque y compris en matière de religion. A cet
égard, les enseignements dispensés peuvent tous contribuer à
consolider les assises d'une telle connaissance. De même, les activités
de « vivre ensemble » à l'école primaire, l'éducation
civique au collège ou l'éducation civique, juridique et sociale
au lycée constituent des moments privilégiés pour faire
progresser la tolérance et le respect de l'autre. Plus spécifiquement,
les faits religieux, notamment quand ils sont des éléments explicites
des programmes, comme c'est le cas en français et en histoire, doivent
être utilisés au mieux dans les enseignements pour apporter aux
élèves les éléments de culture indispensables à
la compréhension du monde contemporain.
II. - Le champ d'application de la loi
Aux termes du premier alinéa de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation,
« dans les écoles, les collèges et les lycées publics,
le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent
ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
2.1. La loi interdit les signes et les tenues
qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse
Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à
se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse
tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa
ou une croix de dimension manifestement excessive. La loi est rédigée
de manière à pouvoir s'appliquer à toutes les religions
et de manière à répondre à l'apparition de nouveaux
signes, voire à d'éventuelles tentatives de contournement de la
loi.
La loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des
signes religieux discrets.
Elle n'interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément
par des élèves en dehors de toute signification religieuse. En
revanche, la loi interdit à un élève de se prévaloir
du caractère religieux qu'il y attacherait, par exemple, pour refuser
de se conformer aux règles applicables à la tenue des élèves
dans l'établissement.
2.2. La loi s'applique aux écoles,
aux collèges et aux lycées publics
La loi s'applique à l'ensemble des écoles et des établissements
d'enseignement scolaire publics. Dans les lycées, la loi s'applique à
l'ensemble des élèves, y compris ceux qui sont inscrits dans des
formations post-baccalauréat (classes préparatoires aux grandes
écoles, sections de technicien supérieur).
La loi s'applique à l'intérieur des écoles et des établissements
et plus généralement à toutes les activités placées
sous la responsabilité des établissements ou des enseignants y
compris celles qui se déroulent en dehors de l'enceinte de l'établissement
(sortie scolaire, cours d'éducation physique et sportive...).
2.3. La loi ne modifie pas les règles applicables
aux agents du service public et aux parents d'élèves
Les agents contribuant au service public de l'éducation, quels que soient
leur fonction et leur statut, sont soumis à un strict devoir de neutralité
qui leur interdit le port de tout signe d'appartenance religieuse, même
discret. Ils doivent également s'abstenir de toute attitude qui pourrait
être interprétée comme une marque d'adhésion ou au
contraire comme une critique à l'égard d'une croyance particulière.
Ces règles sont connues et doivent être respectées.
La loi ne concerne pas les parents d'élèves. Elle ne s'applique
pas non plus aux candidats qui viennent passer les épreuves d'un examen
ou d'un concours dans les locaux d'un établissement public d'enseignement
et qui ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l'enseignement
public. Ceux-ci doivent toutefois se soumettre aux règles d'organisation
de l'examen qui visent notamment à garantir le respect de l'ordre et
de la sécurité, à permettre la vérification de l'identité
des candidats ou à prévenir les risques de fraudes.
2.4. Les obligations qui découlent, pour les élèves, du
respect du principe de laïcité ne se résument pas à
la question des signes d'appartenance religieuse
La loi du 15 mars 2004 complète sur la question du port des signes d'appartenance
religieuse le corpus des règles qui garantissent le respect du principe
de laïcité dans les écoles, collèges et lycées
publics.
Les convictions religieuses des élèves ne leur donnent pas le
droit de s'opposer à un enseignement. On ne peut admettre par exemple
que certains élèves prétendent, au nom de considérations
religieuses ou autres, contester le droit d'un professeur, parce que c'est un
homme ou une femme, d'enseigner certaines matières ou le droit d'une
personne n'appartenant pas à leur confession de faire une présentation
de tel ou tel fait historique ou religieux. Par ailleurs, si certains sujets
appellent de la prudence dans la manière de les aborder, il convient
d'être ferme sur le principe selon lequel aucune question n'est exclue
a priori du questionnement scientifique et pédagogique.
Les convictions religieuses ne sauraient non plus être opposées
à l'obligation d'assiduité ni aux modalités d'un examen.
Les élèves doivent assister à l'ensemble des cours inscrits
à leur emploi du temps sans pouvoir refuser les matières qui leur
paraîtraient contraires à leurs convictions. C'est une obligation
légale. Les convictions religieuses ne peuvent justifier un absentéisme
sélectif par exemple en éducation physique et sportive ou sciences
de la vie et de la Terre. Les consignes d'hygiène et de sécurité
ne sauraient non plus être aménagées pour ce motif.
Des autorisations d'absence doivent pouvoir être accordées aux
élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident
pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque
année par une instruction publiée au Bulletin officiel de l'éducation
nationale. En revanche, les demandes d'absence systhématique ou prolongée
doivent être refusées dès lors qu'elles sont incompatibles
avec l'organisation de la scolarité. L'institution scolaire et universitaire,
de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires pour
qu'aucun examen ni aucune épreuve importante ne soient organisés
le jour de ces grandes fêtes religieuses.
III. - Le dialogue
Aux termes du second alinéa de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation
tel qu'il résulte de la loi du 15 mars 2004, « le règlement
intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire
est précédée d'un dialogue avec l'élève ».
3.1. La mise en oeuvre de la loi
passe d'abord par le dialogue
Le second alinéa de l'article L. 141-5-1 illustre la volonté
du législateur de faire en sorte que la loi soit appliquée dans
le souci de convaincre les élèves de l'importance du respect du
principe de laïcité. Il souligne que la priorité doit être
donnée au dialogue et à la pédagogie.
Ce dialogue n'est pas une négociation et ne saurait bien sûr justifier
de dérogation à la loi.
3.2. L'organisation du dialogue
relève de la responsabilité du chef d'établissement
Lorsqu'un élève inscrit dans l'établissement se présente
avec un signe ou une tenue susceptible de tomber sous le coup de l'interdiction,
il importe d'engager immédiatement le dialogue avec lui.
Le chef d'établissement conduit le dialogue en liaison avec l'équipe
de direction et les équipes éducatives en faisant notamment appel
aux enseignants qui connaissent l'élève concerné et pourront
apporter leur contribution à la résolution du problème.
Mais cette priorité n'est en rien exclusive de tout autre choix que le
chef d'établissement pourrait au cas par cas juger opportun.
Pendant la phase de dialogue, le chef d'établissement veille, en concertation
avec l'équipe éducative, aux conditions dans lesquelles l'élève
est scolarisé dans l'établissement.
Dans les écoles primaires, l'organisation du dialogue est soumise en
tant que de besoin à l'examen de l'équipe éducative prévue
à l'article 21 du décret n° 90-788 du 6 septembre 1990.
Le dialogue doit permettre d'expliquer à l'élève et à
ses parents que le respect de la loi n'est pas un renoncement à leurs
convictions. Il doit également être l'occasion d'une réflexion
commune sur l'avenir de l'élève pour le mettre en garde contre
les conséquences de son attitude et pour l'aider à construire
un projet personnel.
Pendant le dialogue, l'institution doit veiller avec un soin particulier à
ne pas heurter les convictions religieuses de l'élève ou de ses
parents. Le principe de laïcité s'oppose évidemment à
ce que l'Etat ou ses agents prennent parti sur l'interprétation de pratiques
ou de commandements religieux.
3.3. En l'absence d'issue favorable au dialogue
Le dialogue devra être poursuivi le temps utile pour garantir que la
procédure disciplinaire n'est utilisée que pour sanctionner un
refus délibéré de l'élève de se conformer
à la loi.
Si le conseil de discipline prononce une décision d'exclusion de l'élève,
il appartiendra à l'autorité académique d'examiner avec
l'élève et ses parents les conditions dans lesquelles l'élève
poursuivra sa scolarité.
IV. - Le règlement intérieur
La loi du 15 mars 2004 s'applique à compter de la rentrée scolaire
prochaine.
Même si l'interdiction posée par le premier alinéa de l'article
L. 141-5-1 est d'application directe, il est utile de la rappeler dans les règlements
intérieurs et de veiller à ce que ceux-ci ne comportent plus de
référence à la notion de signes ostentatoires qui s'appuyait
sur la jurisprudence du Conseil d'Etat à laquelle la loi nouvelle se
substitue.
Les règlements intérieurs doivent rappeler, conformément
aux prescriptions du second alinéa de l'article L. 141-5-1, que la mise
en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée
d'un dialogue avec l'élève.
Les chefs d'établissement sont invités à soumettre aux
conseils d'administration les clauses jointes en annexe.
*
* *
Les recteurs diffuseront prochainement aux établissements une liste
des personnes qui auront pour mission de répondre aux questions que pourraient
se poser les chefs d'établissement et les équipes éducatives.
Ces correspondants académiques, sous l'autorité du recteur, seront
eux-mêmes en contact étroit avec la direction de l'enseignement
scolaire et la direction des affaires juridiques qui sont chargées de
leur apporter toute l'aide nécessaire dans la mise en oeuvre de la loi.
Les recteurs et les correspondants académiques sont, en tant que de besoin,
les points de contact avec les tiers intéressés à la mise
en oeuvre de la loi.
Chaque chef d'établissement adressera au recteur de son académie
avant la fin de l'année scolaire 2004-2005 un compte rendu faisant le
bilan des conditions d'application de la loi dans son établissement et
des éventuelles difficultés rencontrées. Une attention
particulière doit être apportée à la rédaction
de ces comptes rendus, qui fourniront les informations nécessaires au
travail d'évaluation prévu par l'article 4 de la loi.
François Fillon
A N N E X E
Modèle d'article à insérer dans le règlement intérieur
de l'établissement :
« Conformément aux dispositions de l'article L. 141-5-1 du code
de l'éducation, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Lorsqu'un élève méconnaît l'interdiction posée
à l'alinéa précédent, le chef d'établissement
organise un dialogue avec cet élève avant l'engagement de toute
procédure disciplinaire. »