En quoi les outils et les gestes peuvent « parler » de peinture ?
La situation présente une séance d’arts plastiques en établissement REP+ (collège Sophie Germain, Nantes) avec une classe de 6eme. Nous sommes en début d’année, il s’agit de la deuxième leçon, elle porte sur une approche sensible et effective de la peinture.
La salle d’arts plastiques est grande et lumineuse, les tables sont disposées en îlots de 6 ou 4, l’espace est dégagé et autorise les déplacements aisés.
L’espace de travail est aéré, l’affichage présenté aux murs est structuré pour donner des indicateurs sur les exigences en arts plastiques (des travaux de qualité sont « exposés », des images en lien avec des références artistiques travaillées sont accrochées). En somme, les conditions de travail sont très satisfaisantes et permettent d’envisager des situations de réussites. Au collège, dans le cadre du projet de nos classes coopérantes, les élèves sont chargés d’assumer des responsabilités durant une semaine dans toutes les disciplines. Ces rôles sont appréciés des élèves qui sont très volontaires.
Les distributeurs de matériel et le responsable de la parole sont très sollicités en arts plastiques. Il est nécessaire cependant de veiller à une mise en œuvre qui ne pénalisent pas le travail. Les rôles changent chaque semaine, le distributeur de parole peut s’interroger lui-même.
Intentions
Les élèves ont déjà expérimenté l’aquarelle lors de la première leçon : certains ont exprimé leur inquiétude, voire leur déception, lorsqu’ils ont découvert la fluidité du médium et le caractère imprévisible de sa diffusion hors des contours.
J’ai décidé de proposer cette séquence pour amener les élèves à comprendre la différence entre peindre et colorier, voire colorer.
Je voudrais qu’ils comprennent également que la maîtrise d’une technique n’est pas une fin en soi et qu’il est nécessaire d’être attentif aux « accidents » parfois très intéressants.
Par ailleurs, je souhaitais introduire assez vite la question de l’autonomie du geste pictural par rapport à un référent réel ou imaginé.
Enfin, dans ce dispositif, je souhaitais leur laisser le temps et la possibilité d’expérimenter spontanément avant de les amener vers une approche plus réflexive de l’acte de peindre. Ils sont ainsi amenés à faire des choix en fonction d’une intention et à développer un projet personnel dans un deuxième temps.
Apprentissages visés
Je souhaite que les élèves soient véritablement en situation d’expérimenter les effets du geste et de l’instrument. Ils sont alors amenés à découvrir les qualités plastiques et les impacts visuels obtenus par la mise en œuvre d’outils variés.
Expérimenter les dialogues entre les instruments et la matière et par l’amplitude ou la retenue du geste, sa maîtrise ou son imprévisibilité.
En lien avec les attendus des programmes, il s’agit pour eux de tester des idées, d’observer et d’interpréter le rôle de la matière dans une pratique plastique : lui donner forme, l’éprouver, jouer de ses caractéristiques physiques et des textures.
Enfin, ils seront amenés à travers cette pratique dite exploratoire et réflexive, à découvrir des œuvres d’art tout en pouvant acquérir et consolider du vocabulaire spécifique.
Chaque séance est organisée avec un travail par îlots : les élèves disposent des mêmes outils de peinture qu’ils doivent mutualiser.
Le format est volontairement assez réduit et fait environ 24 X 24 cm, mais les élèves disposent de plusieurs supports chacun et peuvent recommencer à volonté dans le temps imparti.
Matériel spécifique
Gouache noire, eau, divers outils de peinture (rouleaux, brosses, pinceaux, brosse à dents, éponges, spatules, raclettes, peignes), papier machine, feuilles à dessin.
Séance 1
Expérimentez tous les outils à votre disposition.
Temps estimé pour la pratique exploratoire : 35 minutes
Temps de verbalisation intermédiaire : 10 minutes
Séance 2
Du très léger et du très lourd,
donnez du poids à la production …
Il est précisé que la production ne représente rien d’autre que la légèreté et la lourdeur.
Temps estimé pour la démarche de projet : 25 minutes
L’évaluation formative se déroule bien évidemment tout au long de l’activité à travers les échanges en ilots, mais elle devient plus collective lorsque la plupart des productions sont accrochées au tableau dédié à la verbalisation.
Les élèves se sont déplacés, il se sont rapprochés, ils sont debout, certains se sont assis sur des tabourets, en arc de cercle, face aux travaux.
Le responsable de la parole est invité à se placer à côté du professeur, face au groupe, son rôle consiste à distribuer la parole lorsque ses camarades lèvent la main.
Les échanges sont spontanés, les élèves sont attentifs, concentrés sur les propos des uns et des autres. Je fais reformuler les termes lorsque c’est nécessaire et veille à structurer le débat tout au long des discussions.
La verbalisation est l’occasion de reconvoquer les apprentissages de la semaine précédente : dilution, diffusion, dégradé, etc. pour que le vocabulaire spécifique (gestes, effets de matière, etc.) puisse nous permettre de définir ce que l’on peut savoir de la peinture.
La verbalisation se prépare en amont par l'observation des postures et des gestes des élèves, par l'écoute des échanges de la classe au cours de l'activité. On peut aussi préparer des éléments de vocabulaire, des mots clés qu'ils connaissent déjà pour les aider à formuler une pensée construite, à faciliter la prise de parole des plus timides. Il ne s'agit pas de faire dire des choses connues mais bien de formaliser une reflexion sensible sur le fait artistique.
Une reflexion élargie sur la verbalisation sur EDUSCOL.
Le regard collectif sur les travaux permet d’aborder les entrées suivantes :
- la quantité de matière picturale (reliefs, couches, épaisseurs, empâtements, transparences), qui peut donner un aspect plus « lourd » à la production ;
- les effets du gestes (tamponner, éclabousser, projeter, appuyer, effleurer), qui peuvent apporter ici et là, selon le rythme du poids ou de la légèreté ;
- l’organisation de l’espace du support (vide / plein, masses, surfaces, lignes) qui atteste d’un choix de l’auteur ;
- les effets obtenus (tâches, traces, traînées, coulures, dégradés, diffusions) qui confirment une certaine liberté donnée aux effets du hasard dans l’optique de donner une certaine fluidité au travail ;
- la qualité de la matière picturale (clair / foncé, dilué, fluide) qui engendre une compréhension des effets obtenus (lourd / léger, net / flou…) ;
- les différences entre figuratif / abstrait et entre peindre / dessiner sont évoquées.
En fin de séances, les élèves sont invités à renseigner une fiche pour analyser leurs apprentissages et renforcer les connaissances abordées.
Elles sont choisies en fonction des échanges. Elles confortent l’idée que des gestes et des outils peuvent en effet faire œuvre de peinture. Par ailleurs, ces références ouvrent un champ de compréhension de la peinture abstraite.
Kasimir MALEVITCH, Automobile and Lady, 1915
Robert MOTHERWELL, Beside the sea, 1966, At five in the afternoon, 1948-1949
Jean DEGOTTEX, Composition, 1965
Pierre SOULAGES, Brou de noix sur papier, 1955, Lithographie n°19, 1968
Hans HARTUNG, Miro soir et matin, 1973, Acrylique sur toile, 1989