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Textes philosophiques : Autrui

Autrui
Texte n° 1 :
Merleau-Ponty, Le visible et l'invisible, Gallimard, p. 26-27.
Texte n° 2 :
Alain, Éléments de philosophie, Gallimard, Folio-essais, p. 214.
Texte n° 3 :
Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de repérage et d'investigation. L'enfant joue avec son corps pour l'explorer, pour en dresser l'inventaire ; le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser.
Cette obligation ne diffère pas de celle qui s'impose à tous les commerçants : leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d'eux qu'ils la réalisent comme une cérémonie, il y a la danse de l'épicier du tailleur, du commissaire priseur, par quoi ils s'efforcent de persuader à leur clientèle qu'ils ne sont rien d'autre qu'un épicier, qu'un commissaire-priseur, qu'un tailleur. Un épicier qui rêve est offensant pour l'acheteur, parce qu'il n'est plus tout à fait un épicier. La politesse exige qu'il se contienne dans sa fonction d'épicier, comme le soldat au garde-à-vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui n'est plus fait pour voir, puisque c'est le règlement et non l'intérêt du moment qui détermine le point qu'il doit fixer (le regard « fixé à dix pas »).
Voilà bien des précautions pour emprisonner l'homme dans ce qu'il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu'il n'y échappe, qu'il ne déborde et n'élude tout à coup sa condition.
Mais c'est que, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier, où le, verre est verre. Ce n'est point qu'il ne puisse former des jugements réflexifs ou des concepts sur sa condition. Il sait bien ce qu'elle « signifie » : l'obligation de se lever à cinq heures, de balayer le sol du débit, avant l'ouverture des salles, de mettre le percolateur en train, etc. Il connaît les droits qu'elle comporte : le droit au pourboire, les droits syndicaux, etc. Mais tous ces concepts, tous ces jugements renvoient au transcendant. Il s'agit de possibilités abstraites, de droits et de devoirs conférés à un « sujet de droit ». Et c'est précisément ce sujet que j'ai à être et que je ne suis point. Ce n'est pas que je ne veuille pas l'être ni qu'il soit un autre. Mais plutôt il n'y a pas de commune mesure entre son être et le mien. Il est une « représentation » pour les autres et pour moi-même, cela signifie que je ne puis l'être qu'en représentation.
Mais précisément si je me le représente, je ne le suis point, j'en suis séparé, comme l'objet du sujet, séparé par rien, mais ce rien m'isole de lui, je ne puis l'être, je ne puis que jouer à l'être, c'est-à-dire m'imaginer que je le suis. Et, par là même, je l'affecte de néant. J'ai beau accomplir les fonctions de garçon de café, je ne puis l'être que sur le mode neutralisé, comme l'acteur est, Hamlet, en faisant mécaniquement les gestes typiques de mon état et en me visant comme garçon de café imaginaire à travers ces gestes... Ce que je tente de réaliser c'est un être-en-soi du garçon de café, comme s'il n'était pas justement en mon pouvoir de conférer leur valeur et leur urgence à mes devoirs d'état, comme s'il n'était pas de mon libre choix de me lever chaque matin à cinq heures ou de rester au lit quitte à me faire renvoyer.
Sartre (Jean-Paul), L'Etre et le Néant, Paris, Gallimard, 1976, coll. Tel, pp. 95-96.
Texte n° 4 :
Hume, Traité de la nature humaine, Livre II, partie II, section V, GF, p. 211.
Texte n° 5 :
Heidegger, L'Etre et le Temps (1927), Paris, Gallimard, 1964, p.150.
Texte n° 6 :
C'est une structure qui ne ressemble nullement à la relation intentionnelle qui nous rattache, dans la connaissance, à l'objet - de quelque objet qu'ils s'agisse, fût-ce un objet humain. La proximité en particulier, ne revient pas au fait qu'autrui me soit connu. Le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité, que celle-ci, d'ailleurs, soit acceptée ou refusée, que l'on sache ou non comment l'assumer, que l'on puisse ou non faire quelque chose de concret pour autrui.
Lévinas, Ethique et Infini, Paris, Fayard, 1982, p. 103.
Texte n° 7 :
En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les personnes d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu des autres et d'y être mortel. (...) En conséquence, tout projet, quelque individuel qu'il soit a une valeur universelle.
Sartre, L'Existentialisme est un humanisme, Nagel, pp. 66-69.
Texte n° 8 :
Que cette structure soit effectuée par des personnages réels, par des sujets variables, moi pour vous, et vous pour moi, n'empêche pas qu'elle préexiste, comme condition d'organisation en général, aux termes qui l'actualisent dans chaque champ perceptif organisé le vôtre, le mien. Ainsi Autrui-a-priori comme structure absolue fonde la relativité des autruis comme termes effectuant la structure dans chaque champ. Mais quelle est cette structure ? C'est celle du possible. Un visage effrayé, c'est l'expression d'un monde possible effrayant, ou de quelque chose d'effrayant dans le monde, que je ne vois pas encore.
Comprenons que le possible n'est pas ici une catégorie abstraite désignant quelque chose qui n'existe pas : le monde possible exprimé existe parfaitement, mais il n'existe pas (actuellement) hors de ce qui l'exprime. Le visage terrifié ne ressemble pas à la chose terrifiante, il l'implique, il l'enveloppe comme quelque chose d'autre, dans une sorte de torsion qui met l'exprimé dans l'exprimant. Quand je saisis à mon tour et pour mon compte la réalité de ce qu'autrui exprimait, je ne fais rien qu'expliquer autrui, développer et réaliser le monde possible correspondant. Il est vrai qu'autrui donne déjà une certaine réalité aux possibles qu'il enveloppe : en parlant, précisément.
Autrui, c'est l'existence du possible enveloppé. Le langage, c'est la réalité du possible en tant que tel. Le moi, c'est le développement, l'explication des possibles, leur processus de réalisation dans l'actuel. D'Albertine aperçue, Proust dit qu'elle enveloppe ou exprime la plage et le déferlement des flots : « Si elle m'avait vu, qu'avais-je pu lui représenter ? Du sein de quel univers me distinguait-elle ? » L'amour, la jalousie seront la tentative de développer, de déplier ce monde possible nommé Albertine. Bref, autrui comme structure, c'est l'expression d'un monde possible, c'est l'exprimé saisi comme n'existant pas encore hors de ce qui l'exprime.
Deleuze, La Logique de Sens, Paris, Ed. de Minuit, 1969, pp. 354-355.
Texte n° 9 :
SARTRE, L'Etre et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 321.
Texte n° 10 :
Sartre, L'Etre et le Néant, 3e partie, I, 1, Gallimard, pp. 265-266.
Texte n° 11 :
Je sais que deux et deux font quatre, qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, et je ne me trompe point de croire que les autres connaissent ces vérités aussi bien que moi. J'aime le bien et le plaisir, je hais le mal et la douleur, je veux être heureux, et je ne me trompe point de croire que les hommes (...) ont ces inclinations (...). Mais, lorsque le corps a quelque part à ce qui se passe en moi, je me trompe presque toujours si je juge des autres par moi-même. Je sens de la chaleur ; je vois une telle grandeur, une telle couleur, je goûte une telle saveur à l'approche de certains corps : je me trompe si je juge des autres par moi-même. Je suis sujet à certaines passion, j'ai de l'amitié ou de l'aversion pour telles ou telles choses ; et je juge que les autres me ressemblent : ma conjecture est souvent fausse. Ainsi la connaissance que nous avons des autres hommes est sujette à l'erreur si nous n'en jugeons que par les sentiments que nous avons de nous-mêmes.
Malebranche, De la recherche de la vérité, III, 7, Paris, Vrin, 1965, t. 1, pp. 259.
Sujets de réflexions et de dissertations philosophiques :
Cours et conférences en ligne
- Les effets de la catégorisation, Dubois Nicole, U.T.L.S., 2007
-L'identité personnelle, Bourgeois-Gironde Sacha, U.T.L.S., 2007
Expérience philosophique : observer un garçon de café
Présentation :
Tant que l'homme est en vie, sa façon d'être est d'exister comme ce qui, de toute part, échappe à ce qui le détermine, car l'intervalle fugace qui sépare la naissance de la mort interdit à la conscience de jamais coïncider avec elle-même et d'avoir la pesanteur d'un être inanimé, d'une chose ... En lieu et place du divin, Sartre fait de ce néant-là, de cet écart entre nous et nous-même, notre plus grand péril et notre plus grande chance. L'homme est une liberté malmenée par elle-même, une existence hantée par la volonté mortifère d'être une chose, ou un destin. L'Être et le Néant, c'est une gifle donnée à la partie de nous-mêmes qui veut mourir de son vivant. Alors, à celui qui veut devenir quelqu'un, qui se regarde dans la glace en prenant la pose, qui confond ce qu'il possède et ce qu'il est, ou qui joue à être celui que les autres voient en lui ; il faut recommander comme une cure ou un viatique la lecture de ce texte dit du "{garçon de café}" extrait de l' Être et le néant de Sartre.
Lire :
Sartre (Jean-Paul), L'Etre et le Néant, Paris, Gallimard, 1976, coll. Tel, pp. 95-96.
Ecouter le propos de M. Jacques Ricot :