Espace pédagogique

pour y voir clair dans le jeu des écrans

Nombreux et variés, les écrans appartiennent à l'environnement familier des jeunes. Ludiques, modernes, séduisants, ils captivent, mais sont moins inoffensifs que leur apparente convivialité pourrait le laisser penser. Comment aider les élèves à adopter un regard critique et un usage raisonné de ces écrans tentateurs ? Comment leur dessiller les yeux pour qu'ils voient ce que cache leur trompeuse transparence ?

l'éduquer aux écrans

Qui, pour qui...

Il suffit de voir la diversité des professionnels concernés par cette question pour mesurer l'ampleur des enjeux. Ceux-ci relèvent de divers domaines : santé publique, respect des lois, apprentissage, culture, citoyenneté. Ce sont aussi bien des infirmiers scolaires que des conseillers d'éducation, des enseignants-documentalistes que des professeurs des écoles ou du secondaire qui, sollicitant parfois des intervenants spécialisés, réalisent des séquences d'éducation aux écrans. Nombreuses sont ces actions qui se construisent par des approches croisées : professeur de français-documentaliste, infirmière scolaire, enseignants... Les écrans sont par essence transdisciplinaires et engagent l'ensemble des personnels d'éducation. Le champ est vaste, tout comme le public concerné : les actions vont de la maternelle au lycée, et même au-delà. Plusieurs expériences insistent sur la nécessaire, mais difficile, liaison avec les parents, souvent eux-mêmes grands consommateurs d'écrans, notamment télévisuels. Des opérations communes, des rencontres et débats sont organisés ici ou là pour prolonger avec les parents la réflexion initiée avec les élèves.

... comment ?

De nombreuses opérations servent de support et de levier aux actions entreprises. Nationales, régionales, locales, elles fournissent un encadrement, motivent les projets et les facilitent en proposant des outils de travail. Ces programmes touchent à différentes formes d'écrans : Lycéens au cinéma, Les pieds dans le PAF, Télémaques, le festival Premiers plans, J'apprends la santé à l'école. Certaines structures, comme les Comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), impulsent également des actions auprès des élèves. Mais c'est aussi dans le cadre plus quotidien de séquences pédagogiques que se construisent des actions où le Centre de documentation et d'information (CDI) occupe souvent une place importante. L'encadrement existe, donc, pour celui qui veut se lancer dans une éducation aux écrans que tous les contributeurs de ce dossier jugent nécessaire. Mais, au fait, de quels "écrans" parle-t-on ?

Quels "écrans"...

On peut schématiquement distinguer deux sortes de contenus et d'usages : d'une part les écrans de première génération, à usage de visualisation, et d'autre part ceux, plus récents, d'utilisation active, voire de création, les deux pouvant s'entremêler. Les premiers concernent essentiellement le cinéma ou la télévision et ses contenus - fiction, documentaire, information, divertissement - accessibles désormais sur internet qui en a démultiplié l'usage. On peut y ajouter la lecture, notamment documentaire, largement pratiquée dans le domaine scolaire. Les seconds englobent les pratiques des réseaux sociaux, les créations personnelles comme les blogs, la diffusion d'images et de films sur la Toile, mais aussi l'utilisation des sources documentaires dans des productions diverses. Le champ est immense, mais un certain nombre de procédures et de compétences se retrouvent, quel que soit l'objet abordé plus spécifiquement.

... pour quels comportements ?

C'est donc l'acquisition d'un usage raisonné et conscient qui est au cœur des activités menées. On dépasse le cadre strictement scolaire, dans cette approche éducative au sens le plus large : il s'agit bien de développer une "cybercitoyenneté" qui passe par le développement d'un esprit critique et responsable, respectueux des autres, impliquant une distanciation réflexive qui ne va pas de soi. Car les écrans sont synonymes de plaisir et de facilité. Les termes employés dans les articles sont révélateurs : "consommation, réaction émotionnelle, dépendance, fascination, sidération, manipulation, mythification...". Le terme familier "scotché" résume finalement très bien ce phénomène que les expériences tentent de combattre. Ce qui est sur l'écran n'est pas nécessairement synonyme de vérité, d'objectivité et d'inoffensivité ; qu'est-ce qui peut se cacher derrière une image ? Les actions portent à la fois sur le contenu des images et sur leurs sources. Qui parle derrière cette image qui me parle ? Et à qui je parle quand je m'exprime sur cet écran ? La virtualité d'une telle communication n'est-elle pas parfois trompeuse ?

Ne pas diaboliser...

Il y a du pain sur la planche, incontestablement, mais il faut rester vigilants, notent souvent les professionnels. Si les écrans doivent faire l'objet d'une éducation, encore convient-il de ne pas tomber dans l'excès inverse. Ne pas diaboliser est la principale précaution qui ressort. Le but n'est ni de culpabiliser, ni de juger les contenus comme les pratiques des jeunes. Pas question d'adopter d'emblée une attitude plus ou moins édifiante ou de chercher à imposer des valeurs esthétiques, morales ou existentielles. Ceci dit, pas la peine de se voiler la face, les problèmes sont là. Il s'agit de permettre aux élèves d'acquérir une "salutaire suspicion, d'éveiller la vigilance, d'apprendre à comprendre et non de subir" grâce à un décryptage qui passe par une déconstruction. Pour dépasser une simpliste dialectique fascination/répulsion, le meilleur moyen est encore de partir des faits.

... s'en tenir aux faits

Avant ou après, toujours une affaire de décryptage

Diverses approches sont présentes dans les expériences relatées. Un classement est nécessairement manichéen, mais on peut distinguer les séquences qui se construisent sur un décryptage en amont, et celles construites sur un décryptage a posteriori. Soit on prépare les élèves à l'action (en tant que spectateur, créateur, inter acteur), soit on les laisse agir, et ensuite, on les amène à regarder ce qui s'est passé ; soit on leur donne les outils d'analyse avant, soit on les apporte, suivant les besoins, après. Soit on prépare la projection complète d'un film ou d'une émission avant de la regarder, par une analyse de séquences, par exemple, soit on les regarde d'abord, et on cherche à les comprendre ensuite. Ce qui rapproche de la dialectique fondée sur les démarches déductive/inductive. C'est simplificateur, mais éloquent. Tout dépend des objectifs visés, du temps imparti, de l'objet d'étude, du type d'intervenants. La réflexion sous-tendue par la démarche adoptée ne manque par ailleurs pas d'intérêt et est explicitement posée dans plusieurs articles. Un enseignant fait remarquer que l'école a souvent tendance à accompagner, à guider, à outiller la découverte pour la faciliter. Or dans leur pratique des écrans, les jeunes sont directement plongés dans ce qu'ils voient et qui les happe.

Une entreprise de "déscotchage"

Après avoir identifié les émotions qui ont été éprouvées ou les comportements adoptés, il s'agit de remonter aux causes qui les expliquent, et donc d'analyser les contenus des écrans ou les implications d'une pratique. Les activités proposées se construisent souvent sur une enquête, ou une quête de sens. C'est en plongeant les élèves dans le bain des écrans, en leur faisant traverser le miroir, que la prise de conscience peut jaillir. Pourquoi cette fiction ou ce documentaire me font-ils peur ? De quoi m'informe cette émission "d'information" ? Peut-on se fier à ce site ? Tout produit visualisé à l'écran est bien une construction, effectuée par quelqu'un, qui a des intentions précises. Ces situations mettant en œuvre une pédagogie active, ou interactive, demandent des groupes restreints. Travaux de groupes et coanimation sont fréquents dans les expériences relatées, souvent conçues en termes de projets pluridisciplinaires, comme on l'a dit. Qui dit écrans dit évidemment salles équipées de postes d'ordinateurs ou d'écrans vidéo projetés, et le CDI est très utilisé. Ceci dit, on ne reste pas "scotché" devant les écrans au cours de séances dont l'objectif est au contraire de réaliser un "déscotchage" physique, mais surtout mental.

Partir du vécu

La prise de distance critique qui commence par une mise en mots est une manière de "combler [cette] ère du vide" qui laisse libre la voie/voix à de possibles manipulations. Mais toujours, le verbe prend son origine dans des formes de vécu concrètes, suscitées par des activités pratiques. On peut faire produire les élèves eux-mêmes ou bien s'appuyer sur leurs pratiques antérieures. Nombreuses sont ainsi les situations qui fonctionnent comme des études de cas, le "cas" étant d'autant plus éloquent qu'il s'agit de soi-même : ses réactions face à un film, ses pratiques d'internet, sa consommation télévisuelle, son usage des données prélevées sur le Net... Ainsi, des recherches documentaires effectivement réalisées servent de point d'appui pour remonter la piste des sites utilisés. Des blogs personnels sont utilisés (avec précaution pour ne pas heurter leurs créateurs qui ne mesurent pas le caractère public de leurs créations) pour comprendre les conséquences d'une divulgation de ce qui est tout sauf un journal intime. Les enquêtes permettant de dresser un état des lieux de la consommation d'écran sont également des points d'appui pour une analyse des comportements et de leur implication.

Qui parle derrière cet écran qui me parle ?

Plus concrètement, plusieurs types d'activités sont proposés aux élèves. Toutes visent à leur faire prendre conscience que tout produit de l'écran est une construction (plus ou moins) subjective, relative, orientée. Il s'agit alors de mettre à bas la conviction que l'écran est nécessairement caution d'une vérité absolue. Trois axes sont exploités, et peuvent coexister dans une même séquence : des activités de décryptage, des activités de production, des activités de mise en écho. L'analyse de séquence permet par exemple de comprendre comment on crée de toutes pièces un effet sur celui qui regarde. Le décryptage du contenu amène à dévoiler qui se cache derrière l'écran et quelles sont ses intentions. Les activités proposées sont nombreuses : découplage de la bande-son et de l'image ; repérage des sujets, des plans, des points de vue, de l'éclairage, du montage... Les articles proposent de nombreuses pistes et situations qui mettent en œuvre une analyse souvent conçue comme une manière de comprendre l'impact émotionnel d'un ressenti spontané.

Moi ou les autres, pour mieux accéder au sens

Une autre manière de le comprendre est de fabriquer soi-même des produits liés aux écrans, ce qui est facilité par le développement technologique. Un téléphone portable peut aujourd'hui servir d'appareil photo comme de caméra. Imaginer un commentaire, un bruitage, un accompagnement musical sur une image ou une séquence permet de comprendre combien ceux-ci peuvent influer le regard du spectateur. Faire un remake, fidèle ou parodique, permet de comprendre de l'intérieur les procédés d'un genre et ses effets. La mise en relation avec d'autres œuvres ou genres artistiques est également pratiquée. La juxtaposition est souvent éloquente. La projection de séquences de films différents autour d'un même thème met clairement en lumière, par contraste, les choix et les effets adoptés. Mais c'est également en faisant appel à d'autres genres comme la peinture, le théâtre, le roman que cette "mise en écho" comparatiste éclaire de manière signifiante la construction d'un film ou d'une image donnée. Quoi qu'il en soit, les objectifs visent toujours à une prise de distance et de l'écran et de son contenu.

Du miroir sans tain à la transparence...

Les écrans "c'est que des menteurs", alors ?, comme le fait remarquer une jeune élève. Sans aller jusque-là, les séquences réalisées montrent que les écrans conduisent toujours celui qui les regarde sur leur terrain, de manière plus ou moins explicite, plus ou moins transparente, plus ou moins honnête. Elles montrent aussi qu'en empruntant sans précautions les chemins qu'offrent les écrans, on peut aussi être entraîné soi-même sur des terrains d'autant plus dangereux qu'ils semblent inoffensifs, protecteurs et sympathiques. Ceci dit, cette "salutaire suspicion" ne peut s'acquérir du jour au lendemain de façon durable, note-t-on souvent dans les expériences relatées. Une réelle éducation aux écrans se construit sur le long terme. L'esprit critique demande du temps pour s'installer, ce qui ne peut se faire qu'avec une pratique régulière de l'élucidation du sens et du décryptage. C'est bien entendu en apprenant dès le départ les bonnes procédures que la cybercitoyenneté a le plus de chances d'être une réalité ancrée en chacun, mais en ce domaine, l'école arrive souvent dans un second temps, lorsque les habitudes et pratiques plus ou moins anarchiques et empiriques sont bien installées. Mais c'est aussi une affaire de culture. L'esprit critique se développe dans la trame d'un réseau, par la mise en écho avec d'autres œuvres, d'un même genre ou non. Cela aussi prend du temps. Autant de conditions qui permettront de mieux mesurer les risques des écrans, mais aussi de mieux en savourer les plaisirs et les richesses. Éduquer aux écrans, c'est apprendre à faire la différence entre la boulimie et la gastronomie.

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