Espace pédagogique

Quelles conséquences ?


Nous, professeurs d'Arts plastiques de Lycée, connaissons nos conditions de travail et notre mission pédagogique inscrite dans la durée de la seconde à la terminale, avec en perspective des orientations post-bac. Nous savons d'expérience, que notre enseignement, tel que nous le pratiquons depuis une vingtaine d'années porte ses fruits, au vu des parcours de nos lycéens devenus étudiants dans des filières universitaires, professionnelles et culturelles les plus diversifiées...
Là où les établissements ont pu maintenir cet enseignement, et de surcroît, offrir la spécialité Arts plastiques, nous constatons aussi que notre apport en éducation culturelle, articulée à une pratique artistique actualisée, fondée en connaissance, et prenant en compte les nouvelles technologies de l'image, a pu contribuer à valoriser de façon non négligeable la série L, et dans bien des cas, à la faire subsister grâce à la présence des élèves de "spécialité arts".

Certes, très peu d'établissements sont en mesure d'offrir notre enseignement de spécialité Arts plastiques.
Mais, là où il existe, c'est durant la classe de seconde et à son issue, que s'opèrent les choix d'orientation décisifs dans ce domaine, que s'affirme le projet de formation du lycéen et que se profile le baccalauréat envisagé.
L'enseignement de "détermination" en seconde est notre "marche d'appel" pour un approfondissement du champ des Arts plastiques en vue de  la "spécialité" offerte en première et créditée d'un coefficient 6 au baccalauréat.
Cet enseignement dit "obligatoire" est bien identifié par les jeunes pour être la pierre de fondation de leurs projets spécifiques post-bac.
Or, le "projet de programme" en consultation concernant la classe de seconde pose problème, s'agissant de la promotion de cette formation artistique et culturelle approfondie, portée par son cursus spécifique. Notre discipline risque fort de se trouver dévoyée et de perdre ses appuis indispensables pour pérenniser l'enseignement de spécialité en première et terminale. En effet, ce projet de réforme "structurelle" de la classe de seconde, s'accompagnant de nouveaux programmes, et d'une redistribution complète de l'offre sur la grille horaire, est à penser à l'épreuve des faits et au regard de la grande hétérogénéité des situations sur le terrain.
Tous les professeurs d'Arts plastiques sont unanimes : ce "projet" risque fort de compromettre gravement ce que nous avons construit depuis 20 ans, si celui-ci est maintenu en l'état.


1/ Aspect structurel: 

Dans le cas présent, le souci premier nous vient de l'aspect "structurel" que porte le projet et qui fixe son cadre d'application. La simple redistribution horaire me paraît préjudiciable à la visibilité de notre discipline, à son accessibilité sur le terrain et à son statut effectif en tant que discipline d'enseignement; je dirais, à la fois -  dans les esprits - et de par le dispositif pédagogique d'ensemble proposé en seconde, à un moment où tout se préfigure pour l'élève. Nous relevons sur la grille un double effet de déplacement, dont il faut analyser les conséquences.

-    Abandon d'un enseignement de détermination de 3h (intégré à l'horaire classe) pour un "repli" stratégique et significatif sous l'appellation "Enseignement d'exploration - Arts visuels" de 1h30.
-    Rejet de l'option facultative Arts plastiques à la périphérie de l'horaire classe de 28h30, même si elle est toujours dotée virtuellement de 3h dans le texte.( l'horaire effectif étant déjà inférieur dans bien des lycées...)
Quelles conséquences ?
Nous craignons au premier chef, que la disparition d'un enseignement de détermination de 3h effectives en Arts plastiques (intégré à l'horaire classe) ne nous prive de la "marche d'appel", dont nous avons besoin, pour offrir aux élèves de seconde une approche cohérente et bénéfique de notre champ disciplinaire dans la perspective du choix d'une spécialité Arts plastiques en première L.
La classe de seconde est la "pépinière" du lycée; le meilleur terreau doit lui être réservé et nous devons y conduire un enseignement fait de proximité, d'écoute, de découverte et d'analyse, pour que se construisent, avec sérénité et plaisir de la découverte, des apprentissages qui vont être capitaux pour la suite. Cependant, qui dit "terreau" ne veut pas dire "saupoudrage" et dispersion à tout va en survolant les questions, sans avoir le temps d'aborder les véritables enjeux.

Le "repli" sur un enseignement dit d' "exploration" de 1h30 seulement n'a pas pour mission visiblement de répondre aux objectifs de promotion des Arts plastiques (dans la forme comme dans les contenus). Ceci étant, bien que le terme d' "arts visuels" (réducteur) puisse prêter à confusion, nous n'y sommes pas hostiles ni étrangers pour y travailler déjà largement à travers notre approche actualisée des Arts plastiques; mais le volume horaire alloué est manifestement incohérent face aux enjeux affichés...
Dans les faits, un tel volume horaire a minima refermera la dite fenêtre d' "exploration" pour privilégier un zapping culturel de surface avec des "projets" vite ficelés à la clé... Cela suffira-t-il à motiver le choix d'une "spécialité" en 1ère?
Il est à craindre que non à très court terme...
En l'état, cet "enseignement d'exploration - Arts visuels " ne se présente pas comme une véritable "entrée en matière", telle que nous la pratiquons actuellement; nous risquons fort de devoir nous limiter à de rapides survols  relevant de l'activité périphérique à caractère culturel, où toute pratique réflexive garantissant de réels apprentissages sera vite évacuée faute de temps et d'ambition.

Alors, bien sûr, on peut nous objecter, que le projet garde en l'état, la dite "option facultative" Arts plastiques; certes, mais vu le déplacement qu'elle subit elle aussi dans la nouvelle grille, on peut douter de sa reconnaissance...
Celle-ci se voit rejetée en dehors de l'horaire obligatoire de la classe de seconde de 28h30 et d'autant plus marginalisée que les enseignements d'explorations occuperont le terrain...
C'est loin d'être un détail car, à l'épreuve des faits, nous savons qu'une option reléguée ainsi au statut de "joker " éventuel (en sus de l'horaire classe) aura beaucoup de mal à se maintenir dans les emplois du temps.(?)
Pour le coup, celle-ci deviendra à terme tellement "optionnelle", que les chefs d'établissement, avec des contraintes horaires insurmontables, auront bien du mal à lui octroyer quelques heures dans un volume de cours hebdomadaires déjà bien chargé, où la palette des divers enseignements d'exploration occupera déjà la place!...

Il faudra donc bien vite "trancher" entre le repli sur un "Enseignement d'exploration - Arts visuels", aux contours et aux moyens plus qu'incertains (1h30) ( si celui-ci est toutefois offert en seconde - ce qui n'est pas une obligation dans le texte !) , et / ou un enseignement "optionnel" maintenu vaille que vaille sur heures restantes (1, 2 ou 3h?) à la périphérie d'un emploi du temps affichant déjà "complet"...
Peu d'établissements, nous le savons bien, pourront conserver plusieurs options dites "artistiques" - options qui, de fait, seraient susceptibles d'entrer en rude concurrence (vu cette refonte structurelle les rejetant à la périphérie) et face à une dotation horaire globale qui ne cesse de diminuer; tous les chefs d'établissement l'attestent.
Ce n'est donc pas non plus du côté de l'hypothétique maintien de l'option facultative Arts plastiques (présente dans le texte mais fragilisée à terme), qu'il faut espérer construire, fortifier, pérenniser une réelle "exploration" et expérimentation de notre champ disciplinaire en seconde pour préparer au choix de la "spécialité  Arts plastiques" en première Littéraire.
Par voie de conséquence, il est à craindre, à terme, pour la survie de la "spécialité Arts plastiques" dans le cycle terminal;  l'érosion effective d'une "marche d'appel" cohérente et qualifiante au niveau de la classe de seconde pourrait nous être fatale...(?)

Comme nous le voyons, le seul aspect strictement "structurel" de cette nouvelle redistribution, au niveau de la classe de seconde, suffit déjà à changer totalement la donne, en ce qui concerne la marge de manœuvre des Arts plastiques et notre " visibilité" pour un élève de seconde. Un tel statut amoindrit l'efficience de notre enseignement, discrédite son image et affaiblira l'indispensable "courroie de transmission" entre seconde et première...


2/ Redéfinition des contenus:

Les conséquences "structurelles" de la nouvelle grille et le changement de statut assigné aux Arts plastiques sont à ce point déterminants que je doute qu'il faille ici développer l'analyse des "contenus" des nouveaux programmes (même si là aussi bien des aspects seraient à évoquer et à préciser) - mes collègues l'auront sans doute relevé - j'ai cru bon de mettre l'accent sur ce qui s'avère être la priorité des priorités; s'agissant d'une discipline qui, dès la seconde, serait d'ores et déjà en voie de perdre le dispositif indispensable à son assise et à ses apprentissages spécifiques pour répondre aux attentes de la spécialité Arts plastiques en première L.
Ceci dit, il me semble qu'en tant qu'enseignants d'Arts plastiques, nous avons déjà acquis l'expérience de relations partenariales ponctuelles qui nous sont à présent demandées de façon encore plus explicite. Cet aspect des contenus
de cet "Enseignement d'exploration - Arts visuels" entre dans le champ de nos compétences, même s'il reste à travailler et à définir en fonction du contexte culturel de l'établissement. Ces nouveaux objectifs nécessitent une enveloppe horaire suffisante, pour que de véritables apprentissages puissent s'opérer suite aux projets engagés,
et que l'élève prenne une part active à la construction des savoirs interrogés en commun de retour en classe.


3/ Conclusion et propositions:

Si ce projet est adopté tel quel, c'est à l'épreuve des réalités du terrain que se jouera l'avenir d'une discipline qui sera soumise aux aléas des choix stratégiques des établissements et du partage de l'enveloppe horaire globale, qui suffira tout juste à couvrir les besoins de l'horaire classe de 28h30 en seconde.
Et il est à craindre alors (sans faire de catastrophisme excessif) que nous perdions toute assurance de pérennité de l'enseignement des Arts plastiques dans le cursus du lycée d'enseignement général dans les années à venir pour
les raisons que j'ai évoquées. (?)
Aussi, il ne faudrait pas voir se confirmer ces conséquences irréversibles!?... Je propose, comme la majorité des collègues, les modifications suivantes en forme de compromis, afin d'éviter une disparition programmée qui serait dommageable à tous; à commencer pour la série littéraire, qui a besoin de telles "spécialités" pour ouvrir ses perspectives et rester attractive aux yeux des lycéens d'aujourd'hui.

-    Doter le dit "Enseignement d'exploration - Arts visuels " de 3h hebdomadaires au minimum pour prétendre répondre en toute certitude aux ambitions affichées dans le décret du 28/01/2010:
      "Les enseignements d'exploration visent à faire découvrir aux élèves des enseignements caractéristiques des séries qu'ils seront amenés à choisir à l'issue de la classe de seconde...(...) "(Art. 4. - texte25/154) (et ceci au même titre que les Langues et cultures de l'Antiquité, latin ou grec ou la LV3 étrangère ou régionale )

Cette enveloppe horaire de 3 h. nous semble indispensable, compte tenu des attentes des programmes et des extensions des compétences visées pour l' "Enseignement d'exploration - Arts visuels" en seconde; sachant qu'il nous faudra conserver dans le même temps , une "marche d'appel et de découverte" assez solide , en cohérence avec le choix  d'une spécialité Arts plastiques en 1ère au sein de la filière littéraire de l'enseignement général de lycée.

Paul Chauvigné, Lycée Saint Joseph, La Roche-sur-Yon