Espace pédagogique

une nouvelle : Paolo

Je me souviens du jour où j'ai décidé. Il pleuvait depuis deux mois. Des pluies fétides et lourdes, porteuses de fièvres. J'habitais avec ma mère le grand camp sous les autoroutes, dans le quartier des tentes. Le soir, des nuées de gamins se glissaient sous les grilles, près du canal.
Nous grimpions sur les talus détrempés jusqu'au bord de l'autoroute. Et là, nous regardions passer les voitures.
De l' autre côté des autoroutes, j'ai w s'allumer les grandes tours des Beaux: Quartiers. Aucun d'entre nous n'y était jamais entré, mais les vieux en parlaient souvent. lis se vantaient d'y avoir travaillé, autrefois. À les écouter, on aurait cru que là-bas, les gens n'avaient jamais froid, jamais faim et qu'ils ne connaissaient pas la fièvre. C'était comme un rêve.
 C'est là, accroupi sous la pluie tiède, le derrière dans la boue, que j'ai décidé de visiter un Beau Quartier. Une fois dans ma vie. n devait bien exister un moyen d'y arriver. li fallait que je demande au vieux Sylla. Il devait savoir ça.

Je décidai de descendre la grande rue du marché jusqu'à la maison du vieux. Il était sous le grand arbre, assis sur une caisse, comme chaque jour depuis qu'il ne travaillait plus. Il semblait m'attendre : ses rides étaient comme autant de vagues sur son visage. Ses yeux, envoûtaient tous ceux qui le côtoyaient. Ses cheveux blancs, en arrière, étaient toujours irréprochables. Superstitieux, cet homme parlait peu, mais chacun l'écoutait.

    « Olà Avo! ça va ? »
    «  Bonjour mon petit. » Nous étions tous les petits de ce très grand.
    «  Il faut que je te parle, papy. »
Paolo expliqua alors son projet : aller là-bas de l'autre côté du mur en tôle, là où il y a une piscine pour chaque appartement et des gens devant les portes en marbre. Sylla refusa et le renvoya chez lui. Chaque jour Paolo revenait et chaque jour Sylla lui répétait la même chose : «  Non ce n'est pas pour toi. Il ne faut pas que tu ailles là-bas. Tu pourrais découvrir une vérité qui te dépasse. »
Paolo insista tant et tant, pendant des jours que Sylla finit par lui céder et l'emmena, dès l'aube, à la porte de Santa Clara. Il lui demanda une dernière fois : « Es tu certain de vouloir partir ? »
Paolo acquiesça, sûr de lui.

Au bout de quelques semaines, j'avais peu à peu pris mes marques dans ce quartier. Je ne comprenais pas pourquoi le vieux Sylla m'avait donné tant de recommandations. J'avais trouvé un petit travail et même si je passais mes journées à la recherche d'un client à cirer afin de gagner quelques reals, ma vie n'était finalement pas si mal de ce côté.
Je marchais en observant tout ce qui se passait autour de moi. C'était magnifique !
Tous ces bâtiments immenses qui me submergeaient d'émotion, et d'espoir. Mes rêves ne pourraient qu'être exaucés ici.
Ces immeubles en verre ressemblaient à des miroirs et m'éblouissaient avec le reflet du soleil. J'étais impressionné et un peu ému.
Devant la porte d'un édifice, je levai la tête au ciel et je constatai que ces bâtiments interminables étaient comme un véritable chemin qui mène au paradis. Tout en observant ces grands immeubles, j'écoutais les passants. Je ne comprenais pas ce qu'il se disaient et pourtant c'était ma propre langue.  Le stress, la culture, le bruit énorme des klaxons, les berlines, bourdonnaient dans mes oreilles.
Seul, au milieu de la foule je me faisais souvent bousculer sans aucune excuse. Je n'étais qu'une petite fourmi, mais cela ce n'était pas nouveau.  
Jamais je n'aurais imaginé des routes aussi belles et propres  car là où je vivais les rues n'existaient pas.
Je n'aurais même pas songé que des magasins comme ceux que je voyais pouvaient exister. Je me croyais dans un autre monde. Parfois, je pensais à ma famille quand je passais devant de belles villas. Au fur et à mesure que je continuais ma visite, je vis des lieux plus magnifiques les uns que les autres.
Un jour alors que je me promenais dans un parc, je me suis sentis seul, j'aurais aimé pouvoir jouer avec des jeunes de mon âge comme je le faisais avec les copains de la favela. Après avoir fait plusieurs tours, je me retrouvai soudain face à un groupe d'enfants dont chacun était habillé de vêtements coûtant plus cher que ce que j'aurais pu gagner en un an de salaire. Je me mis à l'écart, m'assis sur un banc puis les regardai s'amuser. Ils se demandaient pourquoi je les regardais de la sorte. Ils s'avancèrent soudain vers moi, d'une voix douce et gentille, un des jeunes me demanda si je voulais jouer avec lui.
Méchamment, le plus grand  (nommé Ricardo, je l'apprendrais plus tard) me dit alors :
« Non mais ça ne va pas, regarde le, il est à demi nu. »
« Il sent mauvais, c'est un gamin du Nord. »
Je me sentis gêné et ne savais plus quoi dire ; mais je décidai de garder ma fierté et de ne pas ma laisser faire. « Tu ne me connais pas, pourquoi me juges-tu comme cela ? »
« si tu es venu pour faire la manche, tu peux partir tout de suite. »
Tous les jeunes se moquaient de moi, me méprisaient.
Je me levai et pointai mon doigt vers le plus grand. C'est sur le ton de la menace que les mots sortirent de ma bouche.
Ricardo me bouscula alors et me frappa telle une bête sauvage ; ses amis s'y mirent aussi. En moins de deux minutes, à terre et haletant, j'étais semi inconscient. Les insultes pleuvaient.    
 Ils ne me jetèrent pas un regard avant de prendre la fuite.

Heureusement une jeune fille passa alors.
J'étais salement amoché. Elle fut prise d'un tel sentiment de compassion qu'elle vint immédiatement auprès de l'enfant.
C'est au dispensaire de son père que peu à peu je repris mes esprits.
Son père dont la réputation de médecin populaire n'était plus à faire, sauvait pauvres et indigents de tous quartiers. Après m'avoir rassuré, il me demanda d'ôter mes vêtements. J'obtempérai avec soulagement.
Mon récit raconté, je me sentis enfin et pour la première fois depuis longtemps soulagé et rassuré.
C'était vraiment étrange ce sentiment face à un homme que je ne connaissais pas.
Le médecin consultait avec une telle douceur.
Lui, connaissait bien les douleurs souvent tues. Je me sentais bien, comme une impression dêtre « chez moi ».
Quelque chose m'attira soudain, un reflet particulier dans le miroir. Elle était là !
Ses longs cheveux bruns, ses grands yeux bleus, son teint mat, et son visage resplendissant qui illuminait la pièce.
Le docteur voyait bien que je fixais cette photographie
« Elle est belle, non ? »
Je répondis avec anxiété. « C'est votre femme ? »
Le médecin, interloqué et souriant à la fois  me dit non de la tête.
« J'ai l'impression de l'avoir déjà vue »
« C'est une femme que j'ai connue il y a une quinzaine d'années. Elle travaillait avec moi dans le Rounha. Je l'ai beaucoup aimée. »
« Est ce qu'elle est ... morte ? »
« C'est une question que je me pose souvent. Je suis né à une époque où nos parents avaient un droit de vie ou de mort sur leurs enfants. Ils m'ont demandé de choisir entre Rosalinda et eux...je l'ai fait »
Il ajouta des sanglots dans la voix « j'ai appris quelques années plus tard qu'elle avait eu un fils. Je ne connais même pas son nom.

J'étais si bouleversé qu'aucun son  ne sortit de ma bouche.
Mes yeux dirent à mon père tout ce que mes lèvres ne pouvaient lui avouer et je repris la route. Le vieux Sylla avait raison.  
                              
 Marie-Pierre Castellani
Seconde BEP
Lycée La Roseraie - Angers