Certains invoquent Platon ou Picasso, d'autres Pythagore et Thalès... Enthousiaste et passionné, un enseignant décide en 2011 d'abattre les frontières de l'abstraction géométrique en faisant construire à ses élèves un arsenal de polyèdres. Élémentaire ?
Investigation complète
Dès octobre 2011, au collège Volney de Craon, les élèves peuvent lire les affiches annonçant la création de l'atelier scientifique, tous les jeudis de treize heure quinze à quatorze heures. Très vite, neuf élèves de cinquième générale et un élève de 5e Segpa (Section d'enseignement général et professionnel adapté) se réunissent : cinq filles, cinq garçons. Sur les dix inscrits, six ont eu Cyril Geslin comme professeur de mathématiques l'année précédente. L'objectif principal est de faire suivre aux adolescents une démarche d'investigation complète, "à partir de leur propre questionnement sur le monde réel". Le programme de cinquième stipule "qu'il convient de représenter, décrire et construire des solides de l'espace à l'aide de patrons". À terme, on vise la modélisation de cette maquette en conception assistée par ordinateur. Ainsi, dès les premières séances, les élèves se lancent dans la construction en papier cartonné du cube, première figure, a priori, facile. Et pourtant, mesure, découpage, pliage, collage, sont autant de tâches préliminaires qui préfigurent nombre d'écueils. Le professeur évoque cet élève qui, six fois, sept fois, recommencera son cube bancal, sans jamais désespérer.
Le premier maillon de l'enquête
L'année précédente, en sixième, lors du travail sur les angles, les élèves avaient découvert la notion de polygone régulier (côtés de même longueur, angles de même mesure). Désormais, face au polyèdre régulier (faces semblables), ils font le point avec l'enseignant sur le vocabulaire en jeu (sommet, face, arête...), indispensable pour comprendre la réalisation de leur cube. Une fois ces notions acquises, la construction se réalise à l'aide de connecteurs souples et de tiges de différentes longueurs à assembler. À partir de ce travail, les élèves découvrent par eux-mêmes plusieurs polyèdres : le tétraèdre (4 faces), l'octaèdre (8 faces) et l'icosaèdre (20 faces) (voir ci-dessous) ; autant de termes barbares qui, sur la table, deviennent réalité sensible et simplifiée ! Pour le jeudi suivant, le groupe doit chercher les noms des solides créés et s'enquérir des racines étymologiques. Aussi, le professeur de lettres classiques du collège est-il mis à contribution aux travers d'échanges oraux. Avec clarté désormais, les adolescents les retrouvent dans leur langage commun : polyvalent, polyglotte, polysémie. Par ailleurs, bien que Cyril Geslin n'ait pas les élèves de l'atelier en cours de mathématiques, il évoque que ceux-ci ont posé moult questions à ses collègues scientifiques au sujet des polyèdres. De la sorte, ils ont aiguisé la curiosité de leurs camarades néophytes en égrainant leurs connaissances géométriques.
D'un pont à l'autre
Cette transversalité s'est aussi retrouvée dans le cours de technologie. En effet, lors d'une séquence sur la stabilisation des structures, l'enseignant Jimmy Prudhomme a utilisé comme situation d'accroche la vidéo de la catastrophe du pont de Tacoma, États-Unis, écroulé en 1967. De cette manière, après plusieurs investigations, les élèves découvrent le principe de la triangulation (solidification des constructions grâce à la figure du triangle). Par la suite, l'enseignant fait édifier des maquettes de pont à l'instar de celui de Garabit1. Les élèves retrouvent à plus grande échelle leurs connecteurs et tiges; ils comprennent qu'aucune figure sans triangle n'est solide;">
"Exposciences-Mayenne"
Un des objectifs de cette manifestation est de valoriser les élèves en présentant le fruit de leur travail, de développer leurs compétences en matière de communication et d'argumentation, surtout lorsqu'il s'agit d'intéresser un large public. Pendant quatre jours, les collégiens tiennent un stand et animent des ateliers à destination des plus grands ou des enfants de maternelle ; une expérience tout à fait gratifiante pour ces mathématiciens en devenir, couronnés par le premier prix de la Créativité et de l'Innovation. Ils entrent également en contact avec des lycéens de première bac STI2D (Sciences et technologies industrielles du développement durable), qui les initient à SolidWorks, logiciel de modélisation en trois dimensions. Par ailleurs, ils bénéficient des conseils de leur parrain-chercheur, M. Rosard, enseignant à l'université de Rennes. Spécialiste de la théorie des jeux (et donc des dés, et donc des cubes !), celui-ci propose une conférence au collège en fin d'année pour éveiller un maximum de jeunes, et - qui sait ? - susciter des vocations scientifiques. Deux groupes de troisième seront ciblés, par écho aux notions de probabilités inhérentes à leur programme. Encore faut-il réaliser ces dés qui pourraient servir d'introduction à la conférence...
Un coup de dé abolira le hasard
En cinquième, le programme de technologie préconise "la représentation numérique d'un volume simple avec un logiciel de conception assistée par ordinateur". Au sortir d'Exposciences, les collégiens semblent bien décidés à ne pas s'arrêter en si bon chemin. Trois élèves multiplient les séances sur d'autres midis de semaine, prouvant leur motivation décuplée. Ils se confrontent au logiciel SolidWorks et assimilent les conseils de Jimmy Prudhomme. Dès lors, les collègues de mathématiques et de technologie travailleront de pair à toutes les séances.
À partir du cube initial en polystyrène qu'ils scient manu militari un peu au hasard, ils parviennent enfin à modéliser les futurs dés tétraèdres et octaèdres (voir ci-contre). Pour autant, les ateliers du collège ne suffisent plus aux besoins techniques du projet. Fin mars, l'équipe contacte Jules Bansard, professeur d'électrotechnique au lycée Réaumur de Laval, pour faire réaliser les prototypes des dés à l'aide d'une imprimante 3D (3 dimensions) en résine. Ensuite, il faut commander des chiffres et des couleurs à l'industrie parisienne, Impression3D, spécialisée dans ce type de production. Compte-tenu du coût non négligeable (environ cent euros) et du jeune public à qui elle a affaire, l'entreprise offre gracieusement à l'établissement un deuxième jeu de cinq dés. Enfin, un entraînement spécifique à l'oral (tournures de phrases, tonalité, diction) est mis en œ">
... C Génial !
Le 4 avril, les dix petits scientifiques sont lauréats académiques à Nantes. Dès lors, ils doivent se présenter au concours national "C Génial", dés en poche et polyèdres sous toutes les coutures. En vue de l'exposé qui les attend, trois volontaires se proposent spontanément pour cet exercice périlleux qu'ils accomplissent avec brio ! Premier prix national, quelle satisfaction pour cette jeune fille qui peine à dépasser le deux sur vingt dans le cours traditionnel de mathématiques. Lorsqu'on interroge leur enseignant, déjà relancé sur un autre atelier scientifique appelé "Analyse mathématique de jeux", il estime cette expérience pleinement satisfaisante, quoique voracement chronophage. Selon lui, ses élèves se sont montrés motivés, inventifs et persévérants, un exploit à l'époque du zapping éphémère. "Avec du temps et un petit groupe, on arrive à des choses extraordinaires !". Ils ont compris que de simples essais ne suffisent pas à une démarche scientifique complète, mais qu'analyses et recherches complémentaires s'imposent. Aujourd'hui, leurs questions restent nombreuses, et ils s'intéressent tout particulièrement à la structure d'un polyèdre semi-régulier, chose étrange appelée "ballon de foot"...