Comment faire pour motiver des élèves que l'école ne passionne guère ? Comment articuler une sensibilisation au développement durable et des apprentissages plus disciplinaires ? Comment faire en sorte que l'apprentissage, à l'image du développement, soit "durable" ? Un exemple de réponse apportée en lycée professionnel auprès d'élèves de troisième MDP 1.
e point de départ de ce projet pédagogique est un constat tout simple qu'a fait Éric Vrignon, professeur de lettres-histoire-géographie, responsable notamment des élèves de la troisième MDP (
Forme et fond, un même mot d'ordre : durabilité
Se prendre au jeu : tout était là. La dimension ludique pouvait peut-être parvenir à (re)donner l'appétit d'apprendre à ces adolescents souvent en rejet des systèmes, scolaire et autres. Autre conclusion, corollaire de la première : partir de ce que sont et aiment ces adolescents. Voilà pour les principes méthodologiques, on ne peut plus pragmatiques, qui ont fondé le projet pédagogique mis en place cette année, et qui constitue le fil conducteur de toute l'année scolaire. Pour ce qui est des contenus, outre ceux disciplinaires, l'objectif de l'enseignant est de développer les compétences d'écocitoyenneté. Inscrit au programme Agenda 21 (voir annexe), le lycée René-Couzinet œuvre à son niveau pour développer une éducation au développement durable par des projets qui placent les élèves au cœur de la réflexion et de l'action autour de cette notion capitale de la citoyenneté d'aujourd'hui et de demain. Pas question cependant d'attaquer l'année en déclarant qu'on allait passer son temps à jouer, ou pire à "jouer au développement durable" ! Il ne s'agit pas de décrédibiliser l'action en affichant trop vite un caractère récréatif qui pourrait rapidement s'avérer contre-productif. Même si des ressorts ludiques sont mis en œuvre, les contenus comme les compétences mobilisées sont on ne peut plus "sérieux". Le tout est de montrer concrètement aux élèves qu'on peut travailler de manière intéressante, et même plaisante, et donc qu'on peut se prendre à ce jeu de l'apprentissage. C'est plus facile à dire qu'à faire, et il faut transformer ces principes en un projet concret. Et donc trouver l'entrée qui va permettre de relier tout cela. L'alchimie va venir au secours de l'enseignant. Les quatre éléments bien connus des alchimistes - l'eau, la terre, le feu, l'air - offrent en effet une excellente entrée en matière(s) qui va permettre de faire un état des lieux écologique de la planète.
Les quatre éléments du développement durable
Un document expliquant ce que sont ces éléments est distribué aux élèves (voir annexe), et le film Le cinquième élément, de Luc Besson, leur est projeté. Ce film est un moyen de les motiver en partant de ce qu'ils aiment, mais aussi de leur montrer que des notions très culturelles se retrouvent partout, y compris dans des œuvres contemporaines et grand public. Tout est dans tout... et cela peut aider à mieux comprendre le monde dans lequel on vit ! Une discussion très libre et informelle s'ensuit. La volonté de l'enseignant est de ne pas être trop dirigiste, de ne pas transformer l'activité en un pensum trop scolaire, de ne pas enfermer le plaisir dans un carcan trop serré de consignes de travail rébarbatives. Qu'en est-il aujourd'hui, sur notre planète, de ces quatre éléments vitaux ? La question mérite d'être creusée. La classe est alors divisée en quatre groupes de six élèves chacun. Chaque groupe se voit attribuer un élément avec pour consigne de proposer un diaporama pour présenter la situation planétaire en matière d'eau, d'air, de terre et d'énergie, ce qui va permettre d'aborder les questions de pollution, de consommation et de préservation des ressources. Ce travail va prendre beaucoup de temps. De nombreuses compétences - en matière de recherche documentaire, d'utilisation des TUIC (Techniques usuelles de l'information et de la communication), de sélection de l'information, d'expression - sont ainsi travaillées grâce à cette recherche. Celle-ci se déroule essentiellement dans les séances en demi-groupes, qui permettent un meilleur accompagnement des élèves. Ceux-ci disposent en effet de deux heures de module "projet" dans leur emploi du temps. Chaque groupe présente ensuite son diaporama aux autres. Nous sommes à la rentrée des vacances d'automne ; le temps est maintenant venu de faire entrer en jeu le "cinquième élément".
Pour que le "cinquième élément" soit tout aussi durable...
L'Homme, et donc l'élève, à l'image de l'Univers, a tout intérêt à éviter le chaos. L'esprit et la connaissance sont là pour ça. Le jeu qui va se mettre en place est ainsi présenté aux élèves : "En relation avec le film de Luc Besson et la philosophie antique, le cinquième élément serait celui qui maintient les quatre autres en harmonie ; s'il disparaît, le chaos s'installera. C'est donc l'esprit et la connaissance qui permettent l'équilibre des quatre éléments. À la suite du projet des 3e MDP6, actuellement 3e préparatoire aux formations professionnelles (prépa-pro), vous avez constitué quatre équipes : eau, terre, feu, air. Vous avez pour objectif de produire des diaporamas sur un état des lieux de l'environnement sur notre planète. En parallèle avec le projet "les quatre éléments du développement durable", l'équipe pédagogique propose aux élèves de 3e MDP6 et aux quatre groupes constitués de se lancer dans un jeu qui va s'étendre sur toute l'année scolaire : Le cinquième élément." Quelle équipe obtiendra le titre de cinquième élément ? La dimension ludique est ainsi introduite dans la pédagogie grâce à un jeu du type Trivial pursuit. Chaque groupe doit proposer cinq questions-réponses au minimum pour chaque discipline, y compris la vie scolaire (voir annexe). Les compétences liées à la citoyenneté ne sont pas en reste. Chaque question-réponse est validée par l'enseignant concerné. L'objectif est de permettre, par le jeu, d'effectuer des révisions sur l'ensemble de l'année, et de faire en sorte que les acquis soient "durables", tout comme le développement. La séance finale aura lieu en fin d'année, ce qui permettra de mesurer ce qui reste vraiment des apprentissages réalisés sur l'ensemble de l'année scolaire. Les questions en lien avec le développement durable, et donc les quatre éléments, seront valorisées, mais tous les apprentissages ont droit de cité. Au final, les quatre équipes se verront poser les questions qu'elles auront elles-mêmes en partie préparées, et l'équipe victorieuse sera élue "cinquième élément" de l'année scolaire. Voilà pour le cadre. Mais on est encore loin de cet affrontement (ludique et pacifique) final !
L'essentiel est dans la participation !
Pour les enseignants, l'intérêt n'est pas, bien entendu, la phase finale du jeu, mais tout le chemin qui y conduit. Chaque vendredi, par demi-groupes, les élèves font ainsi un petit bilan de ce qu'ils ont appris au cours de la semaine pour y puiser la matière de leurs futures questions. Celles-ci doivent être présentées sous la forme d'un document normalisé dont la saisie se fait avec l'enseignant de français durant les heures du vendredi. Outre les questions, les élèves vont également réaliser le jeu lui-même, à partir du cahier des charges figurant dans le document de présentation fourni aux élèves. Ils vont confectionner les supports de leur Trivial Pursuit et en élaborer le règlement (voir annexe). Une manière concrète de réfléchir aux notions d'équité et de règles, mais aussi d'impliquer les élèves dans le jeu. La réalisation des questions entrera en compte aussi bien que les réponses données au cours de la phase finale du jeu. Ce règlement a été finalisé en fin d'année scolaire (voir annexe). Est-ce que cette pédagogie du jeu porte d'ores et déjà ses fruits ? Il a bien sûr fallu relancer les équipes, au début, constate l'enseignant, notamment quand arrive la fin du trimestre qui va voir se clôturer une phase de production, mais "la mayonnaise a pris". La preuve, des manœuvres d'espionnage ont lieu pour savoir à combien de questions posées en sont les équipes concurrentes ! Excellent facteur d'émulation, le jeu permet en cours de route de développer des compétences nombreuses et variées, aussi bien pour ce qui concerne l'expression que la pratique des TUIC, la citoyenneté que les stratégies d'apprentissage. Et surtout, il permet de susciter la volonté d'engranger de manière durable ce qui est appris sur l'ensemble de l'année, en termes de savoirs comme de savoir-faire. Le but est de "mettre l'apprentissage au cœur de l'élève" et pas seulement "l'élève au cœur de l'apprentissage", note avec humour Éric Vrignon.
Engranger le savoir, mais aussi les déchets...
Métaphores mécaniques
Autant pédagogique qu'écologique, l'action menée avec les élèves de troisième MDP repose quoi qu'il en soit sur des fondements communs. L'idée maîtresse qui les relie est celle de l'implication active et réfléchie de chaque individu dans une démarche collective de solidarité. C'est en agissant concrètement qu'on se construit et qu'on construit un monde fondé sur le développement durable respectueux de l'environnement. Mais les bonnes paroles ne suffisent pas toujours, et il est parfois nécessaire de susciter la motivation pour déclencher l'envie de s'engager, dans son propre apprentissage comme dans des actions d'écocitoyenneté. Le jeu, qui engage une démarche de projet, peut y contribuer, comme la prise en compte de la réalité des adolescents. L'objectif à long terme est bien sûr que ces éléments moteurs enclenchent une manière d'être différente qui puisse perdurer, comme la fusée continue sa route bien longtemps après que la phase d'allumage soit achevée. Mais ceci est une autre histoire... Quoi qu'il en soit, cette pédagogie se fonde sur des interactions qui relèvent d'une conception éducative citoyenne. On n'est pas dans une relation pyramidale qui place l'enseignant au sommet des interactions, mais dans une pédagogie circulaire. Les interrelations se développent entre l'enseignant et ses élèves, bien sûr, mais aussi entre les élèves entre eux. En effet, outre l'émulation, ce sont aussi des relations de solidarité, d'échanges, de partage des tâches, d'écoute et de respect qui se mettent chaque jour en œuvre dans ces constructions collectives fondées sur le travail en groupes. Et pour ce qui est de la relation à l'école et au savoir, les projets, en partie construits sur des activités de jeu, permettent de créer une dynamique positive qui entraîne, comme la locomotive ses wagons, l'ensemble des activités proposées dans le cadre scolaire.
1. Troisième à Module de découverte professionnelle, 6heures (voir annexe), actuellement nommée Troisième prépa-pro.