Espace pédagogique

tricoter côtes à côtes

Et si, d'une activité d'apparence obsolète, le tricot, naissait un atelier foisonnant aux mille mailles où des collégiens et des enseignants se pressent et s'épanouissent ? Détails d'une activité sur le fil, où le temps s'arrête en une oasis apaisante.

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Combien de petites mains ?

Tisser des mots

Sur la table centrale, sont disposées plusieurs pelotes dans lesquelles des aiguilles de tailles différentes sont plantées. Les quatre premiers rangs, les plus difficiles à effectuer pour des néophytes, sont déjà tricotés. Les enseignantes s'en sont chargées au préalable afin de pouvoir débuter leurs explications avec succès. Il n'est pas question de décourager les élèves à la première difficulté, au contraire ! Pour la première séance, c'est le point mousse, le plus facile. Toutes les boules de laine ont été récoltées grâce à la générosité de donateurs. Qui un particulier débordé ne trouvant plus le temps de s'adonner à l'art des aiguilles, qui un magasin faisant don d'anciens modèles, qui des anciens ne possédant plus la dextérité nécessaire. Pour l'heure, les cent euros alloués par l'établissement au fonctionnement des ateliers du midi n'ont aucunement été dépensés. À chaque fois, le matériel recueilli est synonyme d'histoire personnelle, de dialogue. Déjà, on s'autorise la conversation, on se raconte. On n'offre pas sa laine comme on se débarrasse d'une brouette. Du côté des collégiens, la récolte n'est pas vaine non plus, chacun est associé pour saisir l'enjeu collectif. On fouille dans les armoires, on vide les greniers poussiéreux. Pour certains, ces quelques fils de laine permettent de renouer la conversation avec leur grand-mère;">


Point après point vers une œuvre collective

En partenariat avec l'association "Promesses d'avenir, graines de sourires" 1, chacun des élèves va tricoter un ou plusieurs carrés de laine, de façon à constituer une couverture collective à destination de la province de Khouribga, au Maroc. Là-bas, les distributions s'effectuent dans les écoles, crèches, orphelinats, maternités, hôpitaux, dispensaires. Au cœur de l'atelier tricot, c'est l'occasion de revenir sur les notions de citoyenneté, de solidarité, d'engagement citoyen. Pour Sophie Marie, AVS (Aide de vie scolaire) au collège et tricoteuse-brodeuse de talent, "l'idée est de donner du sens aux apprentissages, ne pas tricoter pour rien". Au début, les adolescents s'inquiètent de ne pas réussir leurs premiers points. Or, "l'avantage du tricot, selon la porteuse du projet, c'est que cela va forcément aboutir". Devant les élèves attentifs, celle-ci montre en exemple comment enfiler la laine pour obtenir une maille en mousse. Une fois, deux fois, trois fois, il faut prendre le temps. L'enseignante revendique cette lenteur temporelle où la concentration s'associe au silence. "L'oasis temporelle" se tisse délicatement. Il faut respecter la matière, savoir doser la force de ses doigts, sans tomber dans la brusquerie. D'ailleurs, Mauricette Girault explique en aparté combien la douceur de la laine et l'aspect gratifiant de la création manuelle sont aujourd'hui réutilisés pour leurs vertus thérapeutiques en milieu médical : quatre-vingts pour cent des activités proposées en maison de convalescence contre la dépression sont des travaux manuels. Tricoter devient source de rééquilibrage, le toucher sur cette matière douce étant particulièrement sollicité. On apprend aussi que le tricot est conseillé pour développer dextérité et patience. Ainsi, on demande aux futurs étudiants en chirurgie de tisser et ne pas casser le fil de laine, à la fois souple et fragile, telle une métaphore de l'existence. Ces consignes, au départ, en déroutent plus d'un, habitué au zapping vociférant des gadgets technologiques et au brouhaha de la cour de récréation. Pour d'autres, au contraire, cet apaisement est le fondement même de leur présence à cet atelier. L'un des garçons du club, Mathias, explique ainsi son engouement : "Au premier atelier, j'ai vu que c'était tranquille, relaxant. C'est cela qui m'a plu". Et lorsqu'on l'interroge sur la mixité de cet atelier, il s'affirme clairement : "Le regard des autres, je n'en ai rien à faire".

Progresser côte à côte

Laines et technologie, sœurs ennemies ?

Ne sous-entendez pas à l'oreille de nos tricoteuses que leurs méthodes d'apprentissage datent du temps jadis. Prendre le temps ne rejette pas, loin s'en faut, l'association des outils modernes à bon escient. Dans la salle, à côté des tables centrales, plusieurs ordinateurs sont allumés durant les séances. Effectivement, dans un deuxième temps après l'explication et la démonstration sur la technique du jour (mousse, jersey, côte...), les élèves regardent des vidéos dédiées au tricot sur YouTube, en accès gratuit. D'environ deux minutes, ces vidéos exposent en détails, mais avec simplicité, les étapes pour progresser. Oeuvre d'une ancienne professeure de mathématiques, ces montages audiovisuels s'expriment à la première personne afin d'engager plus directement l'apprenant. Par ailleurs, la caméra positionnée en haut de l'épaule filme en plongée les doigts et les aiguilles en gros plan de façon à pouvoir reproduire le geste en simultané. Détaillant chaque geste avec lenteur (comment placer l'index et le majeur, le passage du premier fil...), elle facilite la compréhension. Chaque geste est répété à deux reprises. Interrogée par l'équipe de l'atelier tricot pour le droit à diffusion de son site, celle-ci s'enthousiasme : "Bravo ! Ça me fait d'autant plus plaisir de voir que mes vidéos servent pour des initiatives comme la vôtre". La transmission de savoirs se diffuse de la laine à la Toile virtuelle. Gagnant en autonomie au fil des semaines, les élèves peuvent visionner d'eux-mêmes la séance vidéo correspondant à leur problématique du jour : montage rapide des mailles, montage normal des mailles, point mousse, arrêt des mailles, point jersey, création d'un bonnet. Un élève plus expérimenté prend souvent le relais sur l'enseignant pour accompagner un néophyte, ravi de l'occasion de montrer sa compétence. Il devient tuteur et doit à son tour prendre la parole pour guider le nouveau venu. Les plus timides observés en cours sortent de leur mutisme. Lucile, véritable orfèvre des mailles, s'exclame sans complexe : "Ce qui me plaît, c'est d'expliquer comment construire de belles choses que même les grandes personnes ne savent pas faire".

Petit bonnet et bas de laine

Aux portes ouvertes du collège, les élèves tricoteurs-brodeurs ont l'occasion de montrer leurs réalisations. Souvent, les visiteurs et parents restent bouche bée : "Je n'aurais pas imaginé que ma fille aurait pu faire ça !". Et, il y a de quoi. Du simple carré initial, les élèves ont terminé leur couverture collective, s'appliquant à coudre leurs productions les unes aux autres.


Chacun fournit application et patience à son ouvrage. Le pourtour façon dentelle a été réalisé par les petites mains en broderie. Pour l'occasion, cette technique pointilliste leur est également apprise. Au plaisir se mêle l'esthétisme, les élèves progressent dans leur confiance en eux et n'hésitent plus à prendre la parole pour communiquer sur leurs travaux. Les enseignants relatent le cas de plusieurs adolescents timorés, effacés jusqu'alors, qui s'expriment ce jour-là avec spontanéité. D'ailleurs, les questions des visiteurs sont nombreuses : combien d'heures, quelles aiguilles, quelle technique, quelle laine ? L'une en particulier suscite admiration et curiosité. Quelle matière est à l'origine de cet ensemble si original, un chapeau d'élégante et son écharpe comme emplis de confettis virevoltants ?




Certes, certains élèves offrent ces vêtements aux nourrissons de leur famille ou aux poupons des plus petits. D'autres vêtements de bébé se joignent au colis caritatif à destination du Maroc. Alors, on comprend l'émotion que transmet Mélisandre lorsqu'elle nous explique que ses bonnets serviront aux nouveau-nés d'un orphelinat. L'objectif de "donner de l'envie aux apprentissages, ne pas tricoter pour rien", semble bien atteint.

Savoir lire entre les lignes

Au-delà des espérances des professeures, les élèves progressent à grandes enjambées. Tant et si bien que, sur l'une des tables de l'atelier, les enseignants mettent à disposition plusieurs magazines de tricot. Les plus hardis s'en emparent en vue de réaliser des vêtements plus complexes. Ils s'escriment à déchiffrer leurs premiers patrons : pas facile ! Selon le modèle ciblé par chacun, l'enseignante décrypte les sigles et codages universels, propres à l'univers des aiguilles. La lecture des abréviations se fait, accompagnée par l'enseignante, et engage des compétences d'abstraction de l'espace : comment lit-on un plan ? Comment traduire un diagramme pour la broderie ? Qu'évoquent l'index et le glossaire ? Quelles informations légales apporte une étiquette ? Sur l'autel de la pelote de laine défilent des capacités transversales et un vocabulaire spécifique. On développe les calculs mathématiques pour l'échelle des mensurations, respectant les proportions entre stature, tour de poitrine, hanches. On mémorise les abréviations communes (aig = aiguilles, emman = emmanchures, DB = double bride, aux = auxiliaire), on améliore son registre de langue (voir annexe). On apprend des codages, aiguisant précision et acuité visuelle. Selon Sophie Marie (AVS), pour des élèves en grande difficulté, les premiers pas vers ces livres pratiques, (au-delà de savoir réaliser un kit en crochet !), sont parfois ceux des prémices vers la lecture. Ainsi les tricoteuses adultes deviennent-elles des guides plus implicites vers des savoirs essentiels. Après l'atelier, certains élèves souhaitent emporter leur ouvrage chez eux pour le poursuivre à la veillée et en discuter avec leurs proches. Pour combler ces attentes légitimes, des consignes de sécurité très spécifiques sont mises en place. Les apprentis ne peuvent emmener leurs tricots qu'à la fin des cours, sans circuler dans la cour avec. Les aiguilles sont obligatoirement plantées vers le bas dans les pelotes de laine, sans risque de s'en échapper. Enfin, les travaux sont soustraits à la vue d'autrui, l'ensemble se trouvant enfermé dans un sac opaque. Il s'agit ici de conjuguer confiance, engagement et respect des règles de sécurité. Les tricoteurs et tricoteuses peuvent poursuivre leurs rangées sereinement, sur leur temps personnel.

Mixité des fils et filles



1. L'association se donne pour buts la collecte et l'acheminement de dons recueillis et de surplus de biens de production ou de consommation collectés en France afin d'être distribués aux enfants, jeunes et adultes les plus démunis.
auteurs :
C. Coquereau
contributeurs :
M. Girault, É. Macault, K. Le Tennier, S. Marie, L. Letouzey

Fichier joint

D2_A11.pdf application/x-pdf 463 Ko
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